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Giorgio Agamben, Etat d'exception (Homo sacer, II, 1)

L'état d'exception, que nous avons coutume d'envisager comme une mesure toute provisoire et extraordinaire, est en train de devenir sous nos yeux un paradigme normal de gouvernement, qui détermine toujours davantage la politique des états modernes. Cet essai se propose de reconstruire l'histoire du paradigme, et d'analyser le sens et les raisons de son évolution actuelle - de Hitler à Guantanamo. Il faut bien voir en effet que, lorsque l'état d'exception devient la règle, les équilibres fragiles qui définissent les constitutions démocratiques ne peuvent plus fonctionner, la différence même entre démocratie et absolutisme tend à s'estomper. Démontant une par une les théorisations juridiques de l'état d'exception, Giorgio Agamben défriche le terrain vague entre politique et droit, et jette une nouvelle lumière sur la relation occulte qui lie la violence au droit.

Source: https://www.seuil.com/ouvrage/etat-d-exception-giorgio-agamben/9782020611145

Note Fred

Ouf… 160 pages difficiles, émaillées de nombreuses citations latines, allemandes et de concepts philosophiques et juridiques assez ardus pour mes neurones fatigués. Mais aussi un sacré plaisir qu'un peu de gymnastique intellectuelle, avec des concepts éclairants en cette période particulière - les risques de débordement de la raison d'État ne sont-ils pas particulièrement aigus dans nos démocraties, entre coronavirus et personnalisation trumpienne du pouvoir?

Ceci étant, je ne partage pas son analyse récente de la covid-19, bête transposition plaquée de son analyse de 2003, à la limite du compotisme, vu qu'il se base sur un coronavirus comme “simple grippe”1): tant le confinement que les politiques publiques en matière de santé dans la lutte contre le coronavirus ne me semblent pas relever d'une dérive totalitaire dans les démocraties occidentales. Mais la justification des répressions de manifestations démocratiques, si. Pour en savoir plus, voir les liens en fin de ce billet.

Faut pas tout mélanger sinon ça vire à la compote. Et perso je préfère le single malt au blended. Pas vous?

Par contre dans cette vidéo j'ai bien apprécié le critique virulente des sinophiles qui, sous prétexte de lutte contre la covid-19, seraient prêts à suspendre les libertés et à instaurer des camps de concentration à la chinoise:

C'est marrant quand même comme une tête bien faite peut devenir vide face à cette pandémie, non? Ceci dit, c'est peut-être aussi dû à un tout autre phénomène, l'âge avancé où chacun ne fait plus que défendre le concept qu'il a inventé dans sa jeunesse.

Extraits

Pour comprendre des phénomènes modernes comme le Duce fasciste et le Führer nazi, il est important de ne pas oublier leur continuité avec le principe de l’auctoritas principis. Comme nous l’avons déjà observé, ni le Duce ni le Führer ne représentent des magistratures ou des charges publiques constitutionnellement définies – même si Mussolini et Hitler revêtaient respectivement la charge de chef du gouvernement et celle de chancelier du Reich, comme Auguste revêtait l’imperium consulare ou la potestas tribunicia. Les qualités de Duce ou de Führer sont liées immédiatement à la personne physique et appartiennent à la tradition biopolitique de l’auctoritas et non à la tradition juridique de la potestas.

(…)

Le système juridique de l’Occident se présente comme une structure double, formée de deux éléments hétérogènes et cependant coordonnés : un élément normatif et juridique au sens strict – que nous pouvons inscrire ici pour plus de commodité sous la rubrique potestas – et un élément anomique et méta-juridique – que nous pouvons désigner du nom d’auctoritas. (…)

Tant que les deux éléments restent corrélés, quoique conceptuellement, temporellement et subjectivement distincts – comme dans la Rome républicaine avec l’opposition entre Sénat et peuple ou dans l’Europe médiévale avec celle entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel –, leur dialectique, bien que fondée sur une fiction, peut tout de même fonctionner. Mais lorsqu’ils tendent à coïncider en une seule personne, lorsque l’état d’exception, dans lequel ils se lient et s’indéterminent, devient la règle, le système juridico-politique se transforme alors en une machine de mort.

En savoir plus


1)
on croirait presque la gripette de Bolsonaro
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  • Dernière modification : 2021/01/15 07:20
  • de radeff