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Jim Harrison, Grand maître

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Une ode à l'eau vive: lapidation, place des femmes, alcool et sieste, flic atypique prolo mais intello, pêcheur de truites et marches sauvage.

« Comme on pouvait s’y attendre, les chaînes de télé, les journaux et, j’imagine, la plupart des écrivains, se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le crime n’a aucun intérêt, il est affreusement prévisible. Rien n’a changé depuis que Caïn a tué Abel. La cupidité, la jalousie, l’instabilité mentale et les problèmes économiques en sont depuis toujours les principaux ingrédients. La religion n’est pas en reste. Aujourd’hui, l’abus de drogue et le désespoir moral épaississent encore la sauce. Le seul intérêt réside dans les circonstances, et non dans l’acte lui-même, et ne concerne pas forcément non plus les gens directement impliqués. Les témoins racontent rarement la même histoire. Pour n’importe quel inspecteur, indépendamment de la géographie, une enquête de police implique des heures d’insupportable ennui, parfois entrecoupés d’instants d’excitation tels qu’on en chie dans son froc. Ces derniers permettent aux junkies de l’adrénaline de rester dans la course. » Sunderson regarda le feu mourir. Il frissonna et eut hâte de goûter à la soupe que Mona avait prévu de préparer avec des travers de porc et du cou de gibier, de l’orge et le légume préféré de l’ancien inspecteur, le rutabaga. Sunderson ne comprenait pas que, s’il avait été un bon enquêteur, c’était parce qu’il passait aussi inaperçu qu’une racine comestible. Contrairement aux héros romantiques, aux écrivains, aux peintres ou aux athlètes célèbres, il ne se mettait jamais à l’écart des autres êtres humains. Il avait le regard chaleureux et s’exprimait lentement avec l’accent râpeux de sa région. « Hé, si on allait se boire une mousse ? » Désarmés, les gens se confiaient à lui. Il avait toujours associé son boulot à une conscience absolue de son environnement. (352-353)

Il fît une promenade en fin d’après-midi, stupéfait par l’arrivée du printemps, les plantes poussant dans les crevasses des parois du canyon, les chênes et les mesquites qui semblaient jaillir hors de la roche, les herbes et les fleurs le long de la rivière méandreuse dont le bruit était celui de toutes les eaux vives qui l’avaient apaisé depuis l’enfance. Dans la nature, il avait toujours réussi à oublier temporairement ses propres échecs et ses limites. Ce fut près d’une rivière qu’il pria pour qu’une autre jambe pousse sur le moignon de son frère. Ce fut près d’une rivière qu’il décida de ne pas tirer une balle dans la tête du professeur qui l’avait giflé si violemment que des jours durant il eut mal au visage. Ce fut près d’une rivière qu’il enterra son chien et qu’il trouva comment subtiliser un chiot d’une litière dont le propriétaire réclamait dix dollars que Sunderson n’avait pas. Et beaucoup plus tard, ce fut sur la berge de la partie est de la Fox qu’il accepta complètement les raisons du départ de Diane et qu’il en vint à la conclusion quelle aurait dû s’en aller des années plus tôt. (378)

Et en plus, Harrison nous donne des trucs très pratiques: 1-2 bougies allumées et la température dans la tente ne descend pas trop.

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  • Dernière modification : 2023/12/18 08:23
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