THUCYDIDE
HISTOIRE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE, GF 1966; http://remacle.org/bloodwolf/historiens/thucydide/table.htm
vie de Thucydide et commentaires sur l'oeuvre: http://remacle.org/bloodwolf/livres/pierron/chap5.htm
résumé + extraits Fred Radeff août 2005

Livre II
LXX.- "En outre nous pensons avoir, plus que d'autres, le droit d'adresser un blâme à autrui ; car de grands intérêts sont engagés et vous ne paraissez pas vous douter de leur importance ; vous ne songez pas non plus à quels adversaires vous avez affaire avec les Athéniens. Quelle différence, quelle différence totale avec vous ! Ils aiment les innovations, sont prompts à concevoir et à réaliser ce qu'ils ont résolu ; vous, si vous vous entendez à sauvegarder ce qui existe, vous manquez d'invention et vous ne faites même pas le nécessaire. Eux se montrent audacieux, au delà même de leurs forces ; hardis, au delà de toute attente, pleins d'espoir même dans les dangers. Votre ligne de conduite consiste à faire moins que vous ne pouvez ; vous vous défiez même de ce qui est certain ; vous vous imaginez que jamais vous ne pourrez vous tirer des situations difficiles. Ils agissent et vous temporisez ; ils voyagent à l'étranger et vous êtes les plus casaniers des hommes. Eux, en quittant leur pays, ils pensent tirer quelque profit ; vous, en sortant de chez vous, vous imaginez que vous nuirez à votre situation présente. Victorieux, ils vont de l'avant tant qu'ils peuvent. Sont-ils vaincus, ils cèdent le moins de terrain possible. Quand il s'agit de défendre leur ville, ils font abandon complet de leur corps ; mais ils ne se laissent pas ébranler dans leurs résolutions, quand il faut agir pour elle. S'ils échouent dans leurs conceptions, ils se croient dépouillés de leurs propres possessions ; s'ils acquièrent par la guerre des territoires, c'est peu de chose en comparaison de ce qu'ils espèrent obtenir. Si l'expérience les déçoit, ils conçoivent d'autres espoirs et se rattrapent de leur insuccès. Pour eux seuls, la réussite et l'espoir sont d'accord avec leurs projets, tant ils les exécutent rapidement. Toutes leurs entreprises, ils les poursuivent à travers des difficultés et des dangers incessants. Ils jouissent très peu du présent, parce qu'ils veulent toujours acquérir davantage ; c'est qu'à leurs yeux, il n'y a pas d'autre fête que l'accomplissement du devoir : un repos sans occupation leur pèse plus qu'une activité pénible. Bref, en disant que de leur naturel, ils sont aussi incapables de se tenir tranquilles que de laisser les autres tranquilles, on dirait la stricte vérité.
LXXXIII.- "[...] la guerre dépend plus de l'argent que des armes ; c'est l'argent qui fournit les armes

ruse Thémistocle
XC
Arrivé à Lacédémone, il ne se rendit pas auprès des autorités ; mais il fit traîner les choses en longueur et chercha des prétextes. Chaque fois qu'un personnage en charge lui demandait pourquoi il ne comparaissait pas devant l'assemblée, il alléguait le retard de ses collègues "quelque affaire avait dû les retenir, mais il attendait sous peu leur arrivée et s'étonnait même qu'ils ne fussent pas encore là !"   
  

note 116
Le métèque est l'étranger domicilié dans la cité et y jouissant d'un statut spécial.  C'est à Athènes que leur condition état la plus douce . A mesure que l'industrie, le commerce, l'armement, la banque ont besoin de main-d'oeuvre qualifiée ou de capitaux, à mesure que progresse l'esprit égalitaire de la démocrate, les métèques voient leur condition se rapprocher de celle des citoyens.  

CXLIII. 
Ne déplorons pas la perte de nos maisons et de notre territoire, mais bien celle des vies humaines. Car ce ne sont pas les biens qui acquièrent les hommes, mais les hommes qui acquièrent les biens. 

(110)

XIV.[... Les Athéniens ] ne se résolurent qu'à grand'peine à ce déplacement, car la plupart des Athéniens avaient accoutumé de tout temps à vivre aux champs. 

note 146 Sagement Périclès gouverne sans réunir l'Assemblée du peuple ni permettre les réunions publiques. C'est la dictature de guerre. Il accepte comme un mal nécessaire la dévastation des régions envahies, plutôt que de livrer et perdre une bataille décisive 

(160) La xénélasie, manifestation de xénophobie, pratiquée à Sparte consistait dans l'obligation pour les étrangers d'obtenir des magistrats l'autorisation de résider à Sparte, autorisation révocable d'ailleurs pour cause de mauvais exemple. 

XLIII.- Les hommes éminents ont la terre entière pour tombeau.

XLIV.- "Aussi ne m'apitoierai-je pas sur le sort des pères ici présents, je me contenterai de les réconforter. Ils savent qu'ils ont grandi au milieu des vicissitudes de la vie et que le bonheur est pour ceux qui obtiennent comme ces guerriers la fin la plus glorieuse ou comme vous le deuil le plus glorieux et qui voient coïncider l'heure de leur mort avec la mesure de leur félicité. Je sais néanmoins qu'il est difficile de vous persuader ; devant le bonheur d'autrui, bonheur dont vous avez joui, il vous arrivera de vous souvenir souvent de vos disparus. Or l'on souffre moins de la privation des biens dont on n'a pas profité que de la perte de ceux auxquels on était habitué. II faut pourtant reprendre courage ; que ceux d'entre vous à qui l'âge le permet aient d'autres enfants ; dans vos familles les nouveau-nés vous feront oublier ceux qui ne sont plus ; la cité en retirera un double avantage sa population ne diminuera pas et sa sécurité sera garantie. Car il est impossible de prendre des décisions justes et équitables, si l'on n'a pas comme vous d'enfants à proposer comme enjeu et à exposer au danger. Quant à vous qui n'avez plus cet espoir, songez à l'avantage que vous a conféré une vie dont la plus grande partie a été heureuse ; le reste sera court ; que la gloire des vôtres allège votre peine ; seul l'amour de la gloire ne vieillit pas et, dans la vieillesse, ce n'est pas l'amour de l'argent, comme certains le prétendent, qui est capable de nous charmer, mais les honneurs qu'on nous accorde. 

LXI.- "Quand on a le choix et que par ailleurs on est heureux, c'est une grande folie de faire la guerre. Mais lorsque, comme c'était votre cas, on n'a le choix qu'entre la soumission et l'asservissement immédiats à l'ennemi et la victoire, au prix des dangers, c'est celui qui fuit les périls qui mérite le blâme et non celui qui les affronte. Pour moi, je suis toujours le même, je ne change pas d'opinion. C'est vous qui variez : vous vous êtes laissé convaincre dans la prospérité ; vous regrettez vos décisions dans l'adversité. Maintenant dans la débilité de votre pensée, vous me reprochez mes paroles, parce qu'aujourd'hui le mal se fait sentir à chacun, tandis que l'utilité n'est pas encore visible à tous. Un grand malheur, un malheur récent vous a touchés. Vos esprits déconcertés ne savent pas se raidir dans vos résolutions d'autrefois. Ce qui abat le courage, c'est le mal soudain, imprévu, qui déconcerte toutes les prévisions. Voilà ce qui vous est arrivé, quand la maladie est venue s'ajouter à vos autres maux. Vous qui habitez une puissante cité, vous qui avez été nourris dans des sentiments dignes d'elle, vous devez supporter de plein gré les plus grands malheurs et ne pas ternir une telle réputation. Car l'on a autant de mépris pour quiconque, par lâcheté, est inférieur à sa réputation que de haine pour qui impudemment vise à s'arroger celle d'autrui. Oubliez donc vos peines domestiques pour ne vous occuper que du salut public. 

LXXXI.[...] les Akarnaniens passent pour être de très redoutables frondeurs. 

livre III
XI.[...] la crainte réciproque est la seule garantie d'une alliance fidèle. Car celui qui est tenté de se soustraire aux conditions d'une alliance ne résiste à cette tentation que par la crainte de n'être pas le plus fort, s'il attaque. (// Machiavel)

XIII. - [...] Les Athéniens sont à toute extrémité par suite de la peste et des dépenses de la guerre ; une partie de leurs vaisseaux est employée contre votre pays, l'autre nous menace. Il est probable qu'il leur en restera peu de disponibles, si au cours de l'été vous déclenchez contre eux une nouvelle attaque par mer et par terre. Dans ce cas, ou ils ne pourront repousser votre invasion, ou ils devront quitter notre pays et le vôtre. Et que nul d'entre vous ne s'imagine qu'il exposera sa personne pour la défense d'un pays étranger. Tel qui croit Lesbos éloignée en recevra un proche secours. Car la décision de la guerre ne s'obtiendra pas en Attique, comme on le pense, mais dans les pays qui fournissent aux Athéniens leurs ressources. Les revenus d'Athènes, ce sont ses alliés qui les lui procurent ; ils s'accroîtront encore, si les Athéniens nous assujettissent. Dès lors, aucun allié n'osera plus essayer une sécession notre fortune ira accroître la fortune d'Athènes et nous serons exposés à un traitement plus redoutable que ses plus anciens sujets. Au contraire si vous accourez promptement à notre aide, vous vous trouverez renforcés de ce qui vous manque le plus, d'une marine puissante, et vous viendrez plus facilement à bout des Athéniens, en détachant d'eux leurs alliés, car tous alors se rangeront plus hardiment à vos côtés. Vous éviterez aussi le reproche qui vous a été fait celui de ne pas secourir ceux qui passent dans votre parti. En vous faisant les champions de leur liberté, vous vous assurerez une victoire définitive. (logistique)

XXXIV. - [...] Celui-ci proposa une entrevue à Hippias, chef des Arcadiens de la citadelle, avec promesse, si l'on ne parvenait pas à un accord, de le faire reconduire sain et sauf à l'intérieur des murs. L'autre vint le trouver. Pakhès le retint sous bonne garde, mais sans l'emprisonner. Puis il lança une attaque inopinée contre le rempart et s'empara par surprise de la citadelle. Il fit mettre à mort tous les Arcadiens et les Barbares qui s'y trouvaient. Il y ramena ensuite Hippias, comme il l'avait promis. Puis, une fois entré, il le fit immédiatement appréhender et percer de traits. Il remit alors la place aux Kolophôniens, à l'exclusion des gens du parti mède. [...] 
(ruse de guerre)

Discours de Cléon sur le sort résérvé au habitants de Mytilène.
CLEON ( ? - 422)Homme politique athénien qui dirigeait un atelier de tannerie. Vers 430, il attaque violemment Périclès. Aristophane et Thucydide le peignent comme une brute ridicule, violente et sans scrupules, jouant avec les émotions et les préjugés du peuple. A la mort de Périclès il prend la tête du parti démocratique, réprime violemment les révoltes des habitants de Mytilène et mène à bien l'affaire de Sphactérie en 425. Il s'oppose à Nicias, attaché à la démocratie. Il part en Thrace avec 1000 hoplites pour rétablir la situation face à Brasidas mais sera tué en 422, en même temps que Brasidas. Leur mort permet à la paix de Nicias d'être signée en 421.
(démocratie + intelligence < loi + normalité; légitime défense, proportionnalité + immédiateté représailles; bonne punition)
XXXVII. - "J'ai déjà eu maintes fois l'occasion de constater qu'un État démocratique est incapable de commander à d'autres ; votre repentir actuel sur l'affaire de Mytilène me le prouve une fois de plus. Parce que dans vos relations quotidiennes, vous n'usez ni d'intimidation ni d'intrigue, vous vous comportez de la même manière envers vos alliés. Les fautes que vous commettez en vous laissant séduire par leurs belles paroles, les concessions que la pitié vous fait leur accorder, sont là autant de marques de faiblesse que vous pensez sans danger pour vous, mais qui ne vous attirent pas leur reconnaissance. Vous ne songez pas que votre pouvoir est en réalité une tyrannie sur des gens prêts à la révolte ; vous ne songez pas qu'ils acceptent de mauvais gré votre domination, que ce ne sont pas vos complaisances, dangereuses pour vous, qui vous valent leur obéissance ; ce qui assure votre supériorité, c'est votre force et non leur déférence. La chose la plus redoutable, c'est l'incertitude perpétuelle de vos décisions ; c'est l'ignorance de ce principe : il vaut mieux pour un État avoir des lois mauvaises mais inflexibles, que d'en avoir de bonnes qui n'aient aucune efficacité ; l'ignorance qui s'accompagne de juste mesure vaut mieux que l'habileté qui s'accompagne de licence. Un gouvernement de gens médiocres est préférable en général à un gouvernement d'esprits supérieurs. Ces derniers veulent se montrer plus sages que les lois et l'emporter perpétuellement dans les délibérations politiques ; ils se disent qu'ils n'ont pas de plus belles occasions de montrer leurs capacités. Voilà ce qui perd surtout les Etats. Les premiers au contraire se défient de leur intelligence et ne croient pas en savoir plus que les lois. Incapables de critiquer les paroles d'un orateur éloquent, ils sont des juges équitables plutôt que des rivaux de tribune et le plus souvent ils gouvernent mieux. Voici ce que nous devons faire nous aussi : renonçant à des luttes propres à faire briller notre talent oratoire et notre génie, il nous faut éviter de vous donner à vous, la masse, des conseils contraires à l'opinion généralement approuvée.  
XXXVIII. - "Pour moi, je maintiens l'avis que j'ai déjà exprimé. Je m'étonne qu'on vous propose de délibérer à nouveau sur l'affaire de Mytilène et qu'on vous fasse perdre ainsi votre temps, pour l'avantage des coupables. Car la colère de la victime contre l'offenseur s'émousse à la longue et, si la riposte à l'offense est immédiate, elle lui est proportionnée et a toutes les chances de tenir sa vengeance. J'admire quiconque voudra me contredire et prétendra soutenir que les crimes des Mytiléniens nous sont profitables et que nos malheurs sont préjudiciables à nos alliés. Évidemment, l'orateur confiant dans son éloquence, déploiera tous ses efforts pour montrer que ce qui a été communément approuvé ne l'a pas été ; ou bien, guidé par l'appât du gain, il mettra en oeuvre toutes les subtilités de langage pour vous donner le change. Si l'État distribue des prix pour ces sortes de combat, lui-même n'en récolte que des dangers. La faute en est à vous qui arbitrez mal ces compétitions, à vous qui êtes d'ordinaire spectateurs de paroles et auditeurs d'actions, à vous qui conjecturez l'avenir d'après les beaux parleurs, comme si ce qu'ils disent devait se réaliser. Vous croyez moins vos yeux que vos oreilles, éblouis que vous êtes par les prestiges de l'éloquence. Vous excellez à vous laisser tromper par la nouveauté des discours, vous refusez de suivre une opinion généralement approuvée. Sans cesse esclaves de toutes les étrangetés et dédaigneux de ce qui est commun ; tous ambitionnant uniquement de briller par le talent oratoire ; sinon rivalisant avec ceux qui le possèdent pour ne pas avoir l'air de suivre l'opinion ; pleins d'empressement à louer les premiers une saillie, prompts à deviner ce qu'on vous dit ; mais bien lents à en prévoir les conséquences ; vous lançant, pour ainsi dire, à la poursuite d'un monde irréel, sans jamais porter un jugement raisonné sur la réalité, bref, victimes du plaisir de l'oreille, vous ressemblez davantage à des spectateurs assis pour contempler des sophistes qu'à des citoyens qui délibèrent sur les affaires de l'État.  
XXXIX.[...] Généralement un bonheur raisonnable que l'on attend est plus stable que celui qui vient inopinément. Et il est, pour ainsi dire, plus facile de repousser l'infortune que de sauvegarder la félicité. Vous auriez donc dû depuis longtemps traiter les Mytiléniens sur le même pied que les autres alliés ; ils ne se seraient pas portés à cet excès d'insolence. Car il est dans la nature humaine de dédaigner qui la flatte et d'admirer quiconque ne lui cède pas. Châtiez donc les Mytiléniens comme le mérite leur crime ; que leur faute ne retombe pas sur les seuls aristocrates, mais sur le peuple entier. Car tous ont la même part dans l'agression, alors que, s'ils s'étaient tournés vers nous, ils jouiraient maintenant à nouveau de leurs droits de citoyens. Mais non, ils ont cru plus sûr de risquer l'aventure avec les aristocrates et leur complicité est manifeste. [...]

XL.[...] Sinon, loin d'obtenir leur reconnaissance, vous vous ferez tort à vous-mêmes. Si leur défection est juste, c'est votre domination qui ne l'est pas. [...] Celui qui subit une offense gratuite se montre plus redoutable, s'il échappe, qu'un ennemi loyal. [...] Punissez-les comme ils le méritent. Vos autres alliés seront intimement convaincus que quiconque fera défection sera puni de mort. S'ils en ont l'assurance, vous aurez moins souvent à négliger vos ennemis pour combattre vos propres alliés.
Discours de Diodote
DIODOTE : Le premier débat parlementaire connu sur la peine de mort s'est déroulé en 427 avant J. -C., date à laquelle Diodote, faisant valoir que ce châtiment n'avait pas d'effet dissuasif, a réussi à persuader l'Assemblée athénienne en Grèce de revenir sur sa décision d'exécuter tous les adultes mâles de la ville rebelle de Mytilène (Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, livre III, par. 25-50).
Diodote, orateur athénien. En 427av. J.- C., l'île de Lesbos rompit son alliance avec Athènes et s'allia aux Spartiates Peu après, une armée athénienne s'empara de Mytilène, capitale de l'île, et le peuple athénien rendit un décret de mort contre tous les Mytiléniens. Une galère partit avertir l'amiral Pachès, qui devait exécuter cet ordre. Mais Diodote fit rapporter le décret et le massacre fut évité.

atimie, c'est- à-dire de la perte partielle ou totale de ses droits de citoyen. 

XLIII.- (inutilité peines sévères) "Nous faisons juste le contraire. Qu'un citoyen nous donne les meilleurs conseils, mais qu'on le soupçonne de parler par intérêt, sur la foi de ce vague soupçon de vénalité, nous privons l'État de l'avantage manifeste de ses conseils. C'est un fait assuré que des suggestions données en toute simplicité sont aussi suspectes que des suggestions funestes. D'où il résulte que celui qui veut faire adopter les mesures les plus dangereuses trompe le peuple pour se le concilier et que celui qui défend une opinion excellente emploie le mensonge pour se faire écouter.

XLIV. - [...] Mon opinion est la suivante : c'est sur l'avenir et non sur le présent que porte notre délibération. Cléon affirme que la peine de mort aura l'avantage de diminuer à l'avenir les défections des alliés ; pour moi, relativement à vos intérêts futurs, j'affirme et je soutiens le contraire.[...] 
XLV. - "Dans les États la peine de mort est instituée pour de nombreux crimes moins graves que celui des Mytiléniens ; néanmoins le coupable s'y laisse emporter par l'espérance du succès et court le risque. Nul, en tramant un complot, ne s'expose avec l'idée qu'il ne s'en tirera pas. [...] Force donc est de trouver quelque châtiment qui cause plus d'effroi à l'homme ; ou bien, il faut avouer que la peine de mort n'empêche aucun crime. La misère, sous la pression de la nécessité, inspire l'audace ; l'abondance, par l'effet de l'orgueil et de la présomption, fait naître des appétits insatiables ; les autres situations provoquent des passions ; bref chacun est poussé par quelque passion irrésistible et dominante, qui le fait s'exposer au danger. Ajoutez l'espérance et la convoitise ; celle-ci précède, l'autre suit ; l’une formant des projets, l'autre suggérant le concours de circonstances favorables, toutes deux causent les plus grands maux et quoique invisibles sont plus redoutables que les dangers manifestes. Enfin la fortune joint ses excitations tout aussi vives. Il arrive que, survenant à l'improviste, elle pousse l'homme à agir même avec les moyens les plus réduits. C'est particulièrement le cas des États, d'autant plus que les plus grands intérêts, la liberté et la volonté de puissance y sont en jeu ; et que chacun sans raison, et tous les autres avec lui, s'estiment au-dessus de leur propre valeur. En un mot il est impossible, il est d'une extrême naïveté de croire que l'homme, quand il se porte avec ardeur à quelque entreprise, peut être arrêté par la force des lois ou par quelque autre crainte. 
XLVI. - "Gardez-vous donc de penser que la peine de mort soit une sûre garantie et de prendre une résolution désastreuse ; gardez-vous également d'enlever aux insurgés tout espoir de repentir et toute possibilité de racheter à bref délai leur faute. Songez-y : dans l'état actuel des choses, une ville qui a fait défection et qui prévoit sa défaite peut venir à composition, quand elle est encore capable de solder les frais de la guerre et de payer tribut à l'avenir. Dans l'autre supposition, pensez-vous qu'un État quel qu'il soit ne se préparerait pas avec plus de soin, ne prolongerait pas sa résistance jusqu'aux dernières limites, si l'on devait lui réserver un sort identique, que sa soumission soit prompte ou tardive ? Et comment ne serait-ce pas une perte pour nous, que de poursuivre à grands frais le siège d'une ville qui se refusera à se rendre ? de nous emparer enfin d'une ville dont la ruine nous privera à l'avenir des subsides qu'elle nous fournissait ? Or ce sont ces subsides qui font notre force militaire. Évitons donc, en nous montrant des juges rigoureux des fautes d'autrui, de nous faire tort à nous-mêmes. Ayons soin plutôt, en infligeant aux Mytiléniens un châtiment proportionné à leurs fautes, de laisser ces villes disposant de ressources pécuniaires nous être utiles. Ne fondons pas notre sauvegarde sur la rigueur des lois, mais sur notre sage et prévoyante activité. Mais nous faisons actuellement le contraire, quand nous croyons devoir châtier impitoyablement un peuple libre, assujetti de force à notre domination et qui, après une tentative bien naturelle pour recouvrer son indépendance, retombe sous nos lois. Renonçons donc à punir sévèrement des peuples libres qui se révoltent ; gardons-les avec soin avant qu'ils se rebellent ; prenons toutes dispositions pour qu'ils n'en ment pas le désir et, une fois soumis, n'imputons leur crime qu'au plus petit nombre possible de leurs concitoyens. 
XLVII.- "Et vous voyez quelle serait votre faute, si vous suiviez les consuls de Cléon. A l'heure actuelle, le populaire, dans tous les États, est bien disposé à notre endroit ; il refuse de s'associer aux aristocrates pour abandonner votre parti ; ou bien, s'il y est contraint, il se retourne immédiatement contre les rebelles ; et dans les villes soulevées, vous trouvez dans le peuple un auxiliaire, lorsque vous vous avancez pour les réduire. Si vous faites périr le peuple de Mytilène, ce peuple qui n'a pas participé à la rébellion et qui, une fois armé, vous a spontanément remis la ville, d'abord vous commettez une injustice en mettant à mort vos bienfaiteurs, ensuite vous rendez aux grands le service qu'ils désirent le plus ardemment.

XLIX.- Telles furent les paroles de Diodotos. Ces deux discours contradictoires et d'égale habileté laissèrent les Athéniens indécis. On passa au vote et les deux avis recueillirent un nombre de voix à peu près égal. Ce fut pourtant celui de Diodotos qui l'emporta. On envoya donc en toute hâte une nouvelle trière, de peur que l'autre, qui avait un jour et une nuit d'avance, n'arrivât la première et ne donnât l'ordre de détruire la ville. Les députés de Mytilène approvisionnèrent le vaisseau de vin et de farine et promirent à l'équipage une bonne récompense s'il arrivait le premier. La chiourme fit tellement diligence que les hommes continuaient à ramer tout en mangeant leur portion de farine délayée dans du vin et de l'huile ; ils dormaient et ramaient par bordées. Par bonheur aucun vent ne vint les retarder et le premier bâtiment, chargé d'une funeste mission, ne se pressa pas, tandis que le second faisait force de rames. Le premier devança le second juste assez pour permettre à Pakhès de lire le décret. On se préparait à exécuter les ordres, quand le second vaisseau aborda, épargnant ainsi la ruine à Mytilène. Voilà à quoi tint que la ville ne fut pas détruite. 

(233 argumentation facho inversée)  On a déjà vu (III, 10) cette accusation venimeusement lancée contre Athènes de vouloir se soumettre, réduire en esclavage la Grèce, alors que Sparte, avec son faux air de libératrice, nourrissait cette intention, sans avoir rendu, sur terre, sur mer et pour l'éducation intellectuelle et artistique des Grecs, les services éclatants de la cité de Thémistocle et de Périclès. 

Massacre à Corcyre              
LXXXI. - [...] Bref chacun se donna la mort comme il put. [...] La mort parut sous mille formes ; comme il arrive en de pareilles circonstances, on commit tous les excès, on dépassa toutes les horreurs. Le père tuait le fils. Des suppliants étaient arrachés aux temples des dieux et massacrés sur les autels mêmes ; il en est qui périrent murés dans le temple de Dionysos. 
Commentaires de Thucydide sur ce premier massacre de la guerre
LXXXII. - [...] Car pendant la paix et dans la prospérité, États et particuliers ont un meilleur esprit, parce qu'ils ne sont pas victimes d'une nécessité impitoyable. Mais la guerre, en faisant disparaître la facilité de la vie quotidienne, enseigne la violence et met les passions de la multitude en accord avec la brutalité des faits. Les dissensions déchiraient donc les villes. Celles qui en furent victimes les dernières, instruites par l'exemple qu'elles avaient sous les yeux, portèrent bien plus loin encore l'excès dans ce bouleversement général des moeurs ; elles montrèrent plus d'ingéniosité dans la lutte et plus d'atrocité dans la vengeance. En voulant justifier des actes considérés jusque-là comme blâmables, on changea le sens ordinaire des mots. L'audace irréfléchie passa pour un courageux dévouement à l'hétairie; la précaution prudente pour une lâcheté qui se couvre de beaux dehors. Le bon sens n'était plus que le prétexte de la mollesse ; une grande intelligence qu'une grande inertie. La violence poussée jusqu'à la frénésie était considérée comme le partage d'une âme vraiment virile ; les précautions contre les projets de l'adversaire n'étaient qu'un honnête prétexte contre le danger. Le violent se faisait toujours croire ; celui qui résistait à ces violences se faisait toujours soupçonner. Dresser des embûches avec succès était preuve d'intelligence ; les prévenir, d'habileté plus grande. Quiconque s'ingéniait à ne pas employer ces moyens était réputé trahir le parti et redouter ses adversaires. En un mot devancer qui se disposait à commettre un mauvais coup, inciter à nuire qui n'y songeait pas, cela valait mille éloges. Les relations de parti étaient plus puissantes que les relations de parenté, parce qu'elles excitaient davantage à tout oser sans invoquer aucune excuse. Les associations n'avaient pas pour but l'utilité conformément aux lois, mais la satisfaction de la cupidité en lutte contre les lois établies. La fidélité aux engagements était fondée non sur le respect de la loi divine du serment, mais sur la complicité dans le crime. On n'adoptait les conseils honnêtes de l'adversaire que par précaution, si cet adversaire était le plus fort, nullement par générosité. On aimait mieux se venger d'une offense que de ne pas l'avoir subie. Les serments de réconciliation que l'on échangeait n'avaient qu'une force transitoire, due à l'embarras des partis et à leur impuissance à les enfreindre ; mais qu'une occasion se présentât, celui qui voyait son rival sans défense et osait l'attaquer le premier abusait de sa confiance et aimait mieux exercer sa vengeance en secret qu'ouvertement. Il assurait ainsi sa sécurité et en triomphant par la ruse se faisait une réputation d'intelligence ; car, en général, l'homme est plus satisfait d'être appelé habile en se conduisant en coquin que maladroit en étant honnête. On rougit de la maladresse, on s'enorgueillit de la méchanceté. Tous ces vices avaient pour source la recherche du pouvoir, inspirée soit par la cupidité, soit par l'ambition. Les passions engendrèrent d'ardentes rivalités. Dans les cités, les chefs de l'un et l'autre parti se paraient de beaux principes ; ils se déclaraient soit pour l'égalité politique du peuple, soit pour une aristocratie modérée. En paroles ils n'avaient pour but suprême que l'intérêt public ; en fait ils luttaient par tous les moyens pour obtenir la suprématie ; leur audace était incroyable ; les vengeances auxquelles ils recouraient, pires encore et en suscitant sans cesse de nouvelles, sans respect de la justice et de l'intérêt général ; on proportionnait les vengeances uniquement au plaisir que chacune procurait à l'une ou à l'autre des factions ; s'emparant du pouvoir soit par une condamnation injuste, soit de vive forte ; ils s'empressaient de donner satisfaction à leurs haines du moment. Ni les uns ni les autres ne s'astreignaient à la bonne foi ; quand l'envie leur faisait commettre quelque crime, leur réputation n'en était que plus assurée par les noms pompeux dont ils le paraient. Les citoyens, qui entendaient rester neutres, périssaient sous les coups des deux partis, pour refus d'entrer dans la mêlée ou parce qu'ils excitaient la jalousie par leur abstention.  
LXXXIII. - [...] Le plus souvent les gens d’une intelligence vulgaire se trouvaient favorisés. [...] 
LXXXIV. - Ce fut à Corcyre que commencèrent la plupart de ces attentats. On y commit les crimes que se permettent des gens jusque-là gouvernés avec insolence au lieu de modération et qui trouvent l'occasion de se venger ; tous les crimes qu'inspire une longue misère aux gens qui veulent la secouer ; tous ceux que suggère le désir de s'emparer injustement du bien du voisin ; ceux enfin auxquels se portent, sans même avoir la cupidité pour mobile, des citoyens qui s'attaquent à d'autres citoyens et que mènent des passions aveugles, cruelles, inexorables. [...]   
LXXXV. - [...] (//Sun Tzu) Ils brûlèrent leurs embarcations pour n'avoir d'autre ressource que de s'emparer de Corcyre. [...] . 
427.  Intervention athénienne en Sicile : échec de Lachès (fin septembre)

La peste reprend à Athènes
LXXXVII. - [...] Rien n'affaiblit davantage la puissance militaire d'Athènes. [...]

LXXXIX.- (tsunami) L'été suivant, les Péloponnésiens et leurs alliés, sous la conduite d'Agis fils d'Arkhidamos et roi de Lacédémone, s'avancèrent jusqu'à l'Isthme avec l'intention d'envahir l'Attique. Mais il survint plusieurs tremblements de terre qui détournèrent les Péloponnésiens de ce dessein ; l'invasion n'eut pas lieu. Vers l'époque de ces multiples secousses, à Orobies dans l'île d'Eubée, la mer se retira du rivage, puis provoqua un raz de marée qui submergea une partie de la ville ; une portion du territoire fut engloutie par les eaux, une autre resta émergée, si bien que la mer couvre ce qui était jadis découvert. Beaucoup d'habitants périrent ; seuls échappèrent ceux qui se réfugièrent à la course sur les hauteurs. L'île d'Atalantè, proche des Lokriens-Opuntiens, subit un raz de marée analogue, qui détruisit en partie le fort des Athéniens ; deux navires étaient à sec sur le rivage, l'un d'eux fut fracassé. A Péparéthos, la mer se retira également, mais sans provoquer d'inondation ; le tremblement de terre détermina l'effondrement d'une partie de la muraille, du prytanée et de quelques maisons. A mon avis, la cause de ce phénomène est que, là où les secousses furent les plus fortes, la mer se trouva chassée en arrière ; puis revenant soudain en avant, elle détermina de violentes inondations ; il me semble que ces catastrophes ne peuvent se produire que par l'effet d'un tremblement de terre.  
(Datations n. 259)
Dans cette allusion aux éruptions de l'Etna, Thucydide ne mentionne pas celle de 395, c'est donc qu'il est mort avant cette date et qu'ou peut placer sa mort entre 400 et 395. Son récit ne va pas jusqu'à la victoire de Sparte sur Athènes en 404, il s'arrête à l'année 411. 

CIV.-- [...] Le même hiver, pour obéir à un oracle, les Athéniens procédèrent également à la purification de Délos. Voici comment l'on procéda. On enleva de Délos toutes les tombes et l'on interdit à l'avenir dans l’île tout décès et toute naissance ; les moribonds et les femmes en mal d'enfant devaient être transportés à Rhéneia.
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Livre IV
III - [...] Pylos, située à quatre cents stades environ de Sparte, se trouve dans l'ancienne Messénie. Les Péloponnésiens appellent Pylos Koryphasion. On objecta à Démosthénès qu'il y avait dans le Péloponnèse bien des sommets déserts, dont il pouvait s'emparer s'il tenait à épuiser les caisses de l'Etat. Il n'en continua pas moins à faire valoir les avantages remarquables de cette position ; elle disposait d'un port ; elle avait appartenu jadis aux Messéniens, qui parlaient la même langue que les Lacédémoniens ; en s'y installant et la prenant comme base, ils pouvaient causer les plus grands dommages aux Péloponnésiens et ils se montreraient les inexpugnables défenseurs de la place.
IV.- N'arrivant à convaincre ni les stratèges ni les soldats, quand il eut fait part de son projet aux taxiarques (262), il n'insista pas davantage. Finalement d'eux-mêmes les soldats, immobilisés par le mauvais temps et inactifs, furent pris du désir de fortifier la position. Ils accoururent de toutes parts et s'attelèrent au travail. Manquant d'outils pour tailler les pierres, ils les apportaient telles quelles et les assemblaient le mieux possible. Ils n'avaient pas d'auges ; aussi quand il fallait du mortier l'apportaient-ils sur leur dos, se courbant pour éviter qu'il ne se répandît et le maintenant avec leurs mains croisées peur l'empêcher de couler. Ils s'ingéniaient tant qu'ils pouvaient pour prévenir les Lacédémoniens et pour terminer les préparatifs de défense avant d'être attaqués. [...]

note 294. Nous sommes mal fixés sur les mauvais traitements que les Spartiates auraient infligés aux Hilotes pour les maintenir dans l'obéissance par la terreur. Cette disparition mystérieuse de 2.000 Hilotes tenus pour dangereux à cause de leur courage n'est pas acceptée par les historiens modernes. lls n'interprètent pas cette exécution appelée kryptie comme un droit donné aux éphèbes de Sparte d'assassiner de nuit des Hilotes [...]

LXI.- (nature humaine) Pourtant, si nous sommes sages, c'est pour acquérir ce que nous n'avons pas et non pour amoindrir ce que nous possédons, que nous faisons appel à des alliés et que nous acceptons les risques. Sachons-le : les dissensions sont la mort de tous les États [...] Car la nature de l'homme est ainsi faite ; il subordonne ce qui lui cède, il se garde de ce qui lui résiste. Cela, nous le savons, et nous ne prenons pas nos précautions et nous ne jugeons pas que l'essentiel est de nous mettre à l'abri du danger commun ! Quelle folie ! Pourtant nous serions vite délivrés de ce danger, si nous voulions nous mettre d'accord. [...]

(cruauté spartiate) LXXX. - [...] En même temps il y avait là un prétexte tout trouvé pour envoyer au dehors les Hilotes, car on redoutait de leur part une révolte favorisée par la prise récente de Pylos. Aucun doute ne peut exister que cette mesure leur fut inspirée par le nombre des jeunes hommes parmi les Hilotes, car de tout temps la conduite des Lacédémoniens a été guidée essentiellement par la méfiance à leur égard. Les Lacédémoniens leur demandèrent de désigner ceux d'entre eux qui les avaient le mieux secondés à la guerre, en disant qu'ils voulaient les affranchir. En réalité, ce n'était qu'un piège ; ils estimaient que ceux qui seraient les premiers à revendiquer par fierté d'âme la liberté seraient également les premiers à se soulever. Deux mille environ furent ainsi désignés ; le front ceint d'une couronne, ils se promenèrent autour des temples, en signe que déjà ils étaient affranchis ; mais peu de temps après, les Lacédémoniens les firent disparaître et nul ne sut jamais de quelle manière ils avaient péri. [...]

note 302. La durée et l'importance des guerres développèrent l'art d'assiéger les places fortes. Les machines de jet n'étaient pas encore inventées, mais on réussissait à provoquer des incendies sur des ouvrages de défense en bois quelques gisements de houille (anthrax) étaient déjà exploités et le charbon extrait employé par les forgerons et les fondeurs. Il peut s'aglr ici de charbon de bois.
On trouvera, page 19, dans L'Arme chimique et ses blessures (Baillère, édit., 1935) par Hederer et Istin, une reproduction de la machine de guerre des troupes de Pagondas. Cette machine peut être considérée comme l'ancêtre historique des lance-flammes et des émetteurs de fumées ou de gaz toxiques.
note 305. Ce Thucydide qui avait mouillé son escadre de 7 navires dans les eaux de file de Thasos, à 70 kilomètres environ d'Éiôn, port à l'embouchure du Strymôn, est l'historien de cette guerre. Le gouverneur d'Amphipolis le stratège Eukléès semble être seul coupable dans cette affaire, n'ayant pas mis en état de défense sa place et sa tête de pont. Thucydide, qui ne veut pas charger son collègue, se contente de dire qu'Eukléès commandait à Amphipolis, alors que lui-même était loin de la côte. Il dégage donc de ce fait sa responsabilité. Mais riche, ne cachant pas ses griefs contre le régime démocratique, peu en faveur auprès du parti au pouvoir, il expia par l'exil l'échec dû à son collègue.
On ne peut s'empêcher de penser, en constatant le soin avec lequel Thucydide explique la chute d'Amphipolis, insiste sur les chances de Brasidas, qu'il a voulu se disculper auprès de la postérité de l'accusation portée à Athènes contre sa conduite dans cette affaire.
XCVIII.- [...] L'impiété des Béotiens était bien plus grande, car ils prétendaient ne rendre les morts que contre la restitution des temples, tandis que les Athéniens se refusaient à faire des temples l'objet d'une transaction indigne. Bref, ils sommaient sans détours les Béotiens de ne pas faire de leur départ de la Béotie la condition de la restitution des morts, puisqu'ils n'étaient plus en Béotie, mais sur un territoire conquis par les armes. [...]

C. [...] Entre autres moyens d'attaque, ils firent avancer une machine, qui leur permit de réduire la place. En voici la description. Ils prirent un grand madrier, qu'ils scièrent en deux et qu'ils creusèrent sur toute sa longueur ; ils ajustèrent ensuite minutieusement les deux parties pour former une espèce de tube ; à une extrémité, ils suspendirent avec des chaînes une chaudière ; un tuyau de fer traversait de part en part le madrier et par un coude venait aboutir à la chaudière ; le madrier, sur sa plus grande longueur, avait été garni également de fer. On amena de loin sur des chariots cet engin, à l'endroit du rempart où avaient été entassés le plus de sarments et de bois. Une fois la machine à proximité du rempart, les assiégeants adaptèrent à la partie tournée vers eux d'immenses soufflets et les mirent en action. L'air comprimé pénétrant dans le tube et passant sur le chaudron, plein de charbons ardents, de soufre et de poix, provoqua une très grande flamme et mit le feu au retranchement. Nul ne put résister ; les assiégés durent s'enfuir en abandonnant leur poste. C’est ainsi que la muraille fut prise.   [...]

Fin du 1er volume
2e volume
Livre 5
Résumé XXVI - Le même Thucydide Athénien a poursuivi le récit des événements, par étés et par hivers[20], jusqu'au moment où les Lacédémoniens et leurs alliés mirent fin à l'empire d'Athènes et s'emparèrent des Longs-Murs et du Pirée. La durée totale de la guerre jusqu'à cette époque fut de vingt-sept ans. Car ce serait se méprendre que de n'y pas comprendre la trêve qui se place dans l'intervalle des deux guerres.
Si l'on a égard à la suite des faits, tels que je les ai racontés, on s'apercevra qu'on ne peut considérer cette suspension d'armes comme une paix véritable, puisque les belligérants n'exécutèrent ni n'obtinrent les restitutions convenues ; puisque, en dehors de la guerre entre Mantinée et Épidaure, on manqua souvent à sa parole de part et d'autre ; puisque les alliés de Thrace n'en poursuivirent pas moins les hostilités et que les Béotiens n'étaient liés que par une trêve sans date dont les effets cessaient dix jours après l'avis de rupture[21]. Aussi en ajoutant à la première guerre de dix ans la trêve pleine de suspicions qui la suivit et la seconde guerre qui en découla, on trouvera le même nombre d'années que moi, et quelques jours en plus, si l'on veut calculer selon l'ordre chronologique. C’est même la seule chose qui se soit réalisée pour ceux qui prétendaient tirer des oracles un pronostic certain. Je me rappelle en effet que du début à la fin de la guerre, il s'est trouvé bien des gens pour publier qu'elle devait durer trois fois neuf ans. Pour moi j'ai vécu pendant toute sa durée en pleine possession de mes facultés et m'appliquant de mon mieux à me renseigner exactement sur les événements. J'ai vécu vingt ans en exil, à la suite de mon commandement d'Amphipolis ; j'ai été témoin des affaires des deux partis et tout spécialement de celles du Péloponnèse et les loisirs que me laissait mon exil[22] m'ont permis de mieux connaître les faits. Il me reste maintenant à raconter les différends qui s'élevèrent après la guerre de dix ans, la rupture de la paix et les événements militaires qui en découlèrent. 

LXXI.- (théorie de l'accrocahge) Au dernier moment, voici de quoi s'avisa Agis. Toutes les armées, quand se produit l'accrochage, ont tendance à incliner à droite et les deux armées en présence débordent par la droite l'aile gauche ennemie. C'est que chaque soldat, craignant pour lui-même, colle le plus possible au bouclier de l'homme qui est sur sa droite, pour protéger son flanc découvert et pense que plus la ligne est serrée, plus il se trouve en sûreté. Le premier responsable de ce mouvement c'est le chef de file de l'aile droite, qui toujours veut soustraire aux coups de l'ennemi son flanc découvert ; poussés par la même crainte, les autres en font autant. Dans ce combat, les Mantinéens débordaient beaucoup l'aile des Skirites ; les Lacédémoniens et les Tégéates débordaient davantage encore celle des Athéniens, d'autant mieux que leurs troupes étaient plus nombreuses. Agis, craignant de voir enveloppée son aile gauche et estimant que les Mantinéens la débordaient d'une façon inquiétante, donna l'ordre aux Skirites et aux anciens soldats de Brasidas d'élargir les intervalles, pour donner à leur ligne la même longueur que celle des Mantinéens. Et il commanda à deux des polémarques, Hipponoïdas et Aristoklès, de dégarnir l'aile droite de deux bataillons, de les pousser dans l'espace laissé vide. Par cette manoeuvre, il estimait que son aile droite garderait sa supériorité et que la partie de sa ligne opposée aux Mantinéens s'en trouverait renforcée.

[58] Ces usages établis, - c'est le mos majorum des latins ; ces coutumes des ancêtres constituent les premiers linéaments d'un arbitrage et d'un droit international. Ces règlements pacifiques des différends n'intervenaient, comme de nos jours d'ailleurs, que dans les conflits de peu de gravité qui n'intéressaient ni la sécurité, ni la souveraineté, ni le prestige des États.

[61] Gymnopédies, fêtes en l'honneur d'Apollon au cours desquelles des choeurs d'enfants et d'hommes mariés nus exécutaient des danses et chantaient devant les statues de Latone et de ses enfants Apollon et Artémis.

[65] On peut rapprocher de cette théorie de la force, le propos de l'Angleterre au Danemark dont elle allait en pleine paix bombarder la capitale, Copenhague : a La guerre est la guerre ; il faut se résigner à ses nécessités et céder au plus fort quand on est le plus faible ». (Thiers, Le Consulat et l'Empire, VIII, p. 190.) « Krieg lst Krieg », ont dit aussi les Allemands, en violant la neutralité de la Belgique ou en fusillant la population civile de Dinant. 

(réalisme) LXXXIX. - Les Athéniens. De notre côté, nous n'emploierons pas de belles phrases ; nous ne soutiendrons pas que notre domination est juste, parce que nous avons défait les Mèdes ; que notre expédition contre vous a pour but de venger les torts que vous nous avez fait subir. Fi de ces longs discours qui n'éveillent que la méfiance ! Mais de votre côté, ne vous imaginez pas nous convaincre, en soutenant que c'est en qualité de colons de Lacédémone que vous avez refusé de faire campagne avec nous et que vous n'avez aucun tort envers Athènes. Il nous faut, de part et d'autre, ne pas sortir des limites des choses positives ; nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, la justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d'autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les fables doivent leur céder[65]. 

(neutralité) XCV. - Les Athéniens. Non, votre hostilité nous fait moins de tort que votre neutralité ; celle-ci est aux yeux de nos sujets une preuve de notre faiblesse ; celle-là un témoignage de notre puissance.

(impérialisme du fort) CV. - [...] Les dieux, d'après notre opinion, et les hommes, d'après notre connaissance des réalités, tendent, selon une nécessité de leur nature, à la domination partout où leurs forces prévalent. Ce n'est pas nous qui avons établi cette loi et nous ne sommes pas non plus les premiers à l'appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous. Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, vous ne vous comporteriez pas autrement. [...]

(honneur vs réalisme) 
CXI. - Les Athéniens. Si la chose arrive, elle ne nous surprendra pas. Vous-mêmes, vous n'ignorez pas que jamais la crainte d'autrui n'a fait abandonner un siège aux Athéniens. Mais voyons ! Nous avions convenu de délibérer sur votre salut et nous constatons que dans toutes vos paroles vous n'avez rien dit qui soit de nature à inspirer confiance à un peuple et l'assurer de son salut. Bien au contraire ! Vos plus fermes appuis ne consistent qu'en espérances à longue échéance et les forces dont vous disposez présentement sont insuffisantes pour vous assurer la victoire sur celles qui, dès maintenant, vous sont opposées. Ce serait la pire des imprudences, si après notre départ vous n'adoptiez pas une résolution plus sage. Vous ne vous laisserez pas égarer par ce point d'honneur qui si souvent perd les hommes au milieu de dangers sans gloire et menaçants. Que de gens, sans se faire illusion sur les risques qu'ils couraient, se sont laissés entraîner par l'attrait de ce mot : l'honneur ! Séduits par ce terme, ils sont tombés de leur plein gré dans des maux sans remède. Leur déshonneur est d'autant plus ignominieux qu'il est dû à leur folie et non à la fortune. En délibérant sagement, vous éviterez ce malheur et vous conviendrez qu'il n 'y a rien d'infamant à céder à un État puissant, dont les propositions sont pleines de modération, lorsqu'on vous offre de devenir ses alliés et ses tributaires, en vous laissant la propriété de votre sol. Puisque vous avez le choix entre la guerre et votre sûreté, vous ne prendrez pas le plus mauvais parti. Ne pas céder à ses égaux, mais se bien comporter avec les forts, user de modération avec les faibles : voilà les conditions essentielles de la prospérité d'un État. Réfléchissez donc ; après que nous nous serons retirés, dites-vous et redites-vous que c'est votre patrie qui est l'objet de vos délibérations. Elle seule est en cause, et une seule déhbération bonne ou mauvaise décidera de son avenir[66]. » 

Livre VI
(Irak) XI. – « Pourtant une fois ces peuples soumis nous pourrons leur imposer notre domination. Mais, même en cas de victoire sur les Siciliens, comme ils sont éloignés et nombreux nous ne pourrons maintenir sur eux notre empire qu'au prix de grandes difficultés. Il est donc insensé d'attaquer des gens qu' il sera impossible de maîtriser en cas de succès et contre qui, en cas d'insuccès, nous nous trouverions dans une situation diminuée. [...] Le meilleur moyen d'inspirer de l'effroi aux Grecs de là-bas, ce serait de n'y pas aller ; ou alors, après avoir fait une démonstration de notre force[78], de nous retirer sans tarder !  [...]
[78] (démonstration de force) Nicias, devançant la sagesse du maréchal Lyautey, conseille aux Athéniens de montrer leur puissance pour n'avoir pas à s'en servir.
[84] Voici quels sont les services d'Alcibiade aux armées, à la veille de l'expédition de Sicile. En 432, à 18 ans, il est blessé au siége de Potidée, sauvé par Socrate et reçoit une couronne et des armes d'honneur. En 424, à Délion, il se jette à cheval dans la mêlée et dégage Socrate. En 418, il fait partie du secours envoyé à Argos et assiste à la bataille de Mantinée. En 417, stratège, il ramène Argos dans l'alliance d'Athènes, y rétablit le régime démocratique et fait construire aux Argiens leurs Longs-Murs. Il semble avoir participé à l'expédition contre Mélos. Nous ne savons pas s'il était l'un de ces députés qui démontrèrent aux Méliens faibles la nécessité de subir sans résistance la force d'Athènes.
[85] Les citoyens riches de 3 talents (90.000 francs-papier) étaient astreints à certains impôts nommés liturgies. Ainsi la démocratie, qui répugnait à l'impôt direct, rejetait sur une classe de citoyens quelques-unes des plus grosses dépenses qui incombent à l'Etat. 
[87] La navigation était à peu près suspendue pendant les mois de novembre, décembre, janvier, février par suite du mauvais état de la mer et du faible tonnage des navires.
[89] (// dépendance US actuelle: rêve rentiers) Le terme « misthos » désigne des salaires divers pour des fonctions gratuites à l'origine. [...] Tout le menu peuple souhaitait de voir ces indemnités temporaires devenir perpétuelles. Vivre aux frais de l'Etat était son idéal : tout le monde pensionné. Pour rendre le trésor public capable de suffire à ces dépenses, il fallait faire de nouvelles conquêtes, acquérir de nouveaux tributaires. De là la popularité de l'expédition hasardeuse de Sicile.
[103] Les ennemis d'Alcibiade, oligarques et démagogues, unis par une haine commune, avaient profité de son absence pour exciter l'opinion contre la mutilation des Hermès et la profanation des mystères. Ils avaient ainsi obtenu son rappel, qui privait le corps expéditionnaire d'un stratège aimé des soldats et l'incitait lui-même à la rébellion contre sa patrie. La Salaminienne était l'aviso de la République destiné au transport des inculpés. L'habitude de la délation commençait à exercer ses ravages dans Athènes et à démoraliser l'opinion publique.
[113] Du temps de Thucydide le mariage entre Athéniens et étrangers était prohibé. 
[115] Oligarques et démagogues, en faisant par leur entente rappeler et condamner Alcibiade, le chef le plus aimé de l'expédition de Sicile, portèrent un coup fatal à Athènes : l'État était sacrifié aux parts. La révolution triomphait de la lol et de l'intérêt du pays. La commission d'enquête, influencée par Peisandros, ordonnait le retour d'Alcibiade, mais souhaitait qu'il se mît dans son tort en prenant la fuite. II l'aurait bien gênée en revenant à Athènes se faire juger.
[119] Les engagements de troupes légères semblent destinés à amuser le tapis, jusqu'au moment où l'infanterie de ligne sera prête pour la charge et le corps à corps. Ici les devins sont, non pas des prophètes prédisant l'avenir, mais des sacrificateurs qui cherchaient des présages datts l'examen du foie des victimes, pratique développée surtout en Étrurie par les haruspices.
[122] Une des premières et des plus fâcheuses conséquences du rappel d'Alcibiade fut l'échec des Athéniens devant Messénè. Alcibiade avait discerné l'importance de cette place pour surveiller sur le détroit les arrivages d'Italie et faire la police de la côte, il s'était ménagé dans ce port des intelligences, qu'il tourna contre ses compatriotes, une fois parti pour l'exil. Le sort de l'expédition eût pu être tout autre, si Alcibiade avait conservé son commandement et occupé Messénè.
XVIII.– (USA) [...] Dans l'état où nous sommes, c'est une nécessité pour nous de montrer notre hostilité aux États puissants, de ne pas laisser libres nos sujets, car nous risquerions de tomber sous la domination des autres, si nous ne leur imposions pas la nôtre. Enfin nous ne pouvons pas envisager la tranquillité du même point de vue que les autres peuples, si nous n'adoptons pas leur ligne de conduite. Disons-nous bien que le meilleur moyen d'augmenter notre puissance, c'est d'aller combattre là-bas [...].

(logistique) XXII. – [...] Il est indispensable que nous ayons une supériorité sur mer pour transporter facilement tous les approvisionnements nécessaires, des bâtiments légers pour amener d'ici du ravitaillement, du froment, de l'orge torréfiée, des boulangers à gages, tirés proportionnellement des moulins et qu'on obligera à servir. De la sorte, si le mauvais temps nous oblige à relâcher, l'armée aura tout le nécessaire ; car, vu ses effectifs, toutes les villes ne seront pas en état de la recevoir. Bref, il nous faut être pourvus de tout le nécessaire, afin de ne pas dépendre des autres ; il importe tout particulièrement d'emporter d'ici un trésor très bien garni. Car ces richesses des Egestains, qu'on dit toutes prêtes, ne sont prêtes, dites-vous-le bien, qu'en paroles.

XIX.(Alcibiade punk) XXVIII. - Des métèques et des valets firent une dénonciation. Elle n'avait aucun rapport avec les Hermès, mais concernait des statues qu'antérieurement avaient mutilées, par gaminerie, des jeunes gens en état d'ivresse. Dans certaines maisons, ajoutaient-ils, on parodiait les Mystères[91], ils accusaient Alcibiade d'avoir participé à ces sacrilèges. Les ennemis d'Alcibiade furent les premiers à se saisir de ces accusations ; car il gênait leur désir de gouverner le peuple à leur gré ; en le chassant, ils espéraient se mettre au premier rang. Aussi enflèrent-ils ces griefs et clamèrent-ils que les mystères et la mutilation des Hermès tendaient au renversement du gouvernement démocratique et qu'Alcibiade avait trempé dans toutes ces affaires ; ils donnaient comme preuve à l'appui la licence antidémocratique de toute sa conduite[92]. 
(argent, rumeurs) XXXIV. Ils ont en abondance de l'or et de l'argent ; c'est le nerf de la guerre, comme de toute entreprise. [...] J'en suis sûr, on exagérera nos forces, car les pensées des hommes se règlent sur les ondit. Prendre l'offensive, ou du moins montrer à qui vous attaque qu'on est résolu à se défendre, c'est se faire craindre davantage, car on passe pour n'être pas inférieur au danger. [...] s'ils nous voyaient, contre leur attente, pleins d'audace, cette parade inattendue les frapperait de crainte plus que notre puissance réelle. 

(démocratie vs oligarchie // USA ) XXXIX. – « On va m'objecter que la démocratie n'est ni intelligente ni juste et que les possédants sont les plus capables d'exercer le pouvoir. Pour moi, j'affirme en premier lieu que le peuple est l'État tout entier, que l'oligarchie n'en est qu'une fraction, en second lieu que, si les riches s'entendent parfaitement à conserver les richesses, les gens intelligents ont chance de donner les meilleurs conseils et la foule une fois informée de prendre les meilleures décisions. Dans une démocratie ces trois catégories, prises ensemble ou séparément, participent également au gouvernement. L'oligarchie, au contraire, fait participer la multitude aux dangers ; mais elle recherche âprement les avantages. Que dis-je ? Elle met la main sur tous, elle les monopolise. Voilà à quoi aspirent chez vous les puissants et les jeunes gens ! Dans une grande cité comme la nôtre, c'est impossible, ils ne réussiront pas. 

(ruse fausses richesses) XLVI. Voici la ruse à laquelle les Égestains avaient eu recours, quand les premiers députés d'Athènes étaient venus pour se rendre compte de leurs ressources. Ils les avaient conduits dans le temple d'Aphrodite à Éryx et leur avaient montré des offrandes, consistant en coupes, cruches à vin, encensoirs et en une masse considérable d'objets plaqués d'argent[100] qui faisaient illusion aux yeux, mais n'étaient que de peu de valeur. De plus les particuliers avaient offert aux matelots des banquets, où ils avaient rassemblé toute la vaisselle d'or et d'argent d'Égeste ; ils avaient même emprunté celle des villes voisines phéniciennes et grecques et l'avaient exposée, au cours du repas, comme si elle leur eût appartenu. Généralement c'était la même qui servait à tous ; mais les yeux étaient partout frappés de ce luxe. Aussi les gens des trières en restèrent-ils bouche bée et à leur retour à Athènes ils publièrent partout qu'ils avaient vu des richesses considérables. Ils avaient été bel et bien trompés et avaient fait partager aux autres leur conviction ; aussi quand arriva la nouvelle que les richesses d'Égeste n'existaient que dans leur imagination, les soldats les accablèrent-ils de reproches. 

(force frappe initiale) XLIX. - Au contraire attaquer l'ennemi à l'improviste, profiter de son désarroi, c'était généralement s'assurer le succès et provoquer une déroute complète il est déconcerté par la vue des assaillants, car il les croit plus nombreux qu'ils ne sont en réalité, par l'attente des maux à supporter et surtout par le danger imminent de la bataille.

(faux aveux+propagande) LX. - Le peuple athénien, qui n 'avait pas perdu le souvenir de ces événements et se rappelait tout ce que la tradition lui en avait appris, se montrait impitoyable et plein de soupçons envers ceux qu'il accusait d'avoir profané les mystères. II y voyait uniquement une conspiration oligarchique et tyrannique. Dans son irritation, il avait déjà fait jeter en prison bien des gens dignes de considération ; ses rigueurs ne cessaient pas ; chaque jour il prenait des mesures plus cruelles et procédait à des arrestations plus nombreuses. C'est alors qu'un des prisonniers, sur qui pesaient le plus de charges, se laissa convaincre par un de ses compagnons de captivité de faire des révélations, vraies ou fausses. Toutes les suppositions sont plausibles, car ni alors, ni plus tard, on n'a jamais rien pu dire de certain sur les auteurs de la profanation. Quoi qu'il en soit, on fit entendre au prisonnier en question, qu'il devait, quand lui-même il serait innocent, s'assurer l'impunité et sauver la ville de la fièvre de suspicion qui s'était emparée d'elle ; en avouant franchement, il préparerait son salut beaucoup plus sûrement qu'en persistant à nier et en affrontant les tribunaux. Il se dénonça donc lui-même, et quelques autres avec lui, comme auteur de la mutilation des Hermès. Le peuple accueillit avec joie cette dénonciation, qu'il croyait fondée; jusque-là il s'était vivement indigné de ne pas connaître ceux qui conspiraient contre la démocratie. Sur-le-champ on relâcha le délateur et tous ses compagnons qui n'avaient pas été l'objet de sa dénonciation ; on jugea les accusés et on exécuta tous ceux qui furent pris ; on condamna à mort par contumace tous ceux qui s'étaient enfuis et l'on mit leur tête à prix. Les victimes furent-elles justement punies ? Rien ne permet de l'affirmer. Toujours est-il que le reste des citoyens éprouva sur l'heure un soulagement évident. 

(ruse de guerre) LXIV. - Devant cette situation, les stratèges athéniens voulurent attirer en masse et le plus loin possible de la ville les Syracusains, tandis qu'eux-mêmes, avec la flotte, profiteraient de la nuit pour longer la côte et installer tranquillement leur camp sur une position favorable. [...] Voici donc à peu de chose près la ruse dont les stratèges s'avisèrent pour exécuter leur plan. Ils envoyèrent à Syracuse un homme sûr et dont les stratèges syracusains n'avaient aucune raison de se défier. Il était de Katanè. Il prétendit être envoyé par quelques-uns de ses concitoyens, dont les noms étaient connus des stratèges et qui, à leur connaissance, appartenaient au parti syracusain et n'avaient pas quitté la ville. L'homme ajouta que les Athéniens bivouaquaient dans la ville, sans armes ; si, au jour convenu, à l'aurore, les Syracusains voulaient s'avancer vers Katanè, les habitants se faisaient fort d'enfermer l'ennemi dans la ville, de mettre le feu à ses vaisseaux ; pendant ce temps les Syracusains pourraient sans peine assaillir les palissades et s'emparer du camp. Beaucoup de gens de Katanè participeraient à cette attaque ; ceux qui l'avaient envoyé étaient déjà tout prêts. 
LXV. - Les stratèges syracusains, qui d'ailleurs étaient pleins de confiance et qui, même sans cet avis, songeaient à marcher contre Katanè, se laissèrent fort inconsidérément convaincre par le récit de cet homme. Ils convinrent immédiatement du jour de leur arrivée, puis le renvoyèrent. 

(vaisseaux brûlés // Sun Tzu) LXVIII. – ites-vous bien que nous sommes loin de notre patrie, que nous ne disposons d'aucun territoire ami, à moins d'en acquérir par la force des armes. Ce que j'ai à vous rappeler est juste à l'opposé - je le sais bien - de ce que nos ennemis se disent entre eux pour s'exciter au combat. Ils disent qu'ils vont combattre pour leur patrie ; je vous déclare que vous ne combattrez pas dans votre patrie, mais dans un pays que vous devez vaincre, faute de quoi vous n'en sortirez qu'avec difficulté. 

(alliés oppresseurs) LXIX. - Les alliés, sujets d'Athènes, étaient soutenus par l'idée que leur salut serait compromis en cas d'échec, à cette pensée venait s'ajouter l'espoir qu'en aidant à soumettre les autres ils rendraient leur servitude plus légère. 

Livre VII
(lettre Nicias) VIII. - Nicias, qui était au courant de ces préparatifs et qui voyait de jour en jour Ia puissance de l'ennemi augmenter et sa propre situation devenir plus précaire, avait envoyé déjà maintes fois des messages à Athènes pour rendre compte des événements. Mais il voulait alors faire davantage, car il jugeait la situation critique et désespérée, si on ne rappelait pas les troupes, ou si pn ne lui envoyait pas des renforts considérables. Craignant que ses envoyés ne fussent pas suffisamment capables de s'exprimer ou que la mémoire ne leur fît défaut, ou qu'ils ne voulussent flatter la multitude en ne peignant pas exactement la situation, il leur remit une lettre. Par ce moyen, pensait-il, les Athéniens seraient mis au courant de sa propre pensée, qui ne risquerait pas d'être altérée par les messagers et ils pourraient délibérer en toute connaissance de cause. Ses gens parurent donc porteurs de sa lettre et munis d'instructions sur ce qu'ils devaient dire. Pour lui, il se contenta de garder son camp et renonça à s'exposer volontairement au danger.

XII.– Car notre flotte – les Syracusains ne l'ignorent pas - qui au début était au plus haut point de sa puissance, grâce à ses navires en parfait état et à ses équipages intacts, n'a plus maintenant que des navires pourris, pour avoir tenu la mer si longtemps et des équipages en complète désorganisation. Il nous est impossible de mettre à sec les vaisseaux pour les radouber, car les forces navales de l'ennemi égalent et même dépassent les nôtres et nous tiennent perpétuellement en haleine par la menace d'une attaque. Visiblement elles s'y préparent. L'initiative leur appartient et elles peuvent mieux que nous réparer leurs avaries, car elles n'ont point d'autres flottes à observer.

XIII.– Nos équipages ont péri et périssent encore chaque jour et voici pourquoi : nos matelots, obligés d'aller fort loin chercher le bois, le fourrage et l'eau, tombent sous les coups de la cavalerie. Nos valets, depuis que les forces s'équilibrent, désertent. Les étrangers, ceux du moins qu'on a embarqués de force, nous abandonnent à la première occasion pour se réfugier dans les villes de Sicile ; ceux qui ont été alléchés d'abord par la perspective d'une solde élevée et qui ont pensé moins à combattre qu'à amasser un magot, maintenant que, contre leur attente, ils voient l'ennemi en possession d'une flotte et des autres moyens de résistance, nous lâchent, les uns sous prétexte qu’ils sont des citoyens libres, les autres emploient tous les moyens pour fuir. Et la Sicile est vaste !



[145] Dans cette harangue de Gylippos s'exhalent le mépris, la haine du Dorien pour l'Ionien, qui est une des causes profondes et permanentes des guerres fratricides entre Hellènes. Le Dorien s'estime seul racé et de nature supérieure ; pour lui Ioniens, insulaires, ramassis de tous les peuples sont termes synonymes. De même les habitants des pays de langue romane sont des Welches aux yeux des purs Germains.

[149] Cette lettre de Nicias au peuple d'Athènes a dû être versée aux archives. Thucydide aurait mieux fait d'en faire prendre une copie et de nous la donner que de la reconstituer à sa manière. On serait curieux d'avoir la preuve que Nicias écrivait à l'Assemblée que les Athéniens étaient des esprits difficiles à gouverner, qu'ils n'aimaient qu'à apprendre de bonnes nouvelles, qu'ils étaient prêts à rendre responsable celui qui leur en envoyait de mauvaises. Ce général, qui redoutait les orateurs de l'Assemblée, avait-il puisé dans sa maladie, sa fatigue, son inquiétude, dans sa crainte d 'un désastre, le courage de dire aussi crûment la vérité ? 
[157] ... Ces plongeurs, ici employés à scier les pilotis, étaient même utilisés pour percer dans la bataille la coque des bateaux ennemis ; ils faisaient alors office de torpilles. 
[172] La décision de Démosthénès contraste avec la circonspection et les lenteurs de Nicias. Ce général malade et découragé aurait dû étre rannelé et l'unité de commandement assurée par le choix de Démosthénès. Mais la confiance qu'il inspirait au peuple était telle que personne ne songea à le blâmer. C'est la même assemblée qul avait rannelé Alcibiade, l'âme de l'expédition, qui laissait son commandement à Nicias. La démocratie manquait d'un Périclès pour lui faire éviter de pareilles fautes. 
[180] Nicias s'était toujours entouré de prêtres, devins, haruspices dans lesquels il avait, étant pieux, une absolue confiance. Son devin le plus raisonnable Stilbidès étant mort, ses confrères considérèrent, avec la multitude, l'éclipse comme un présage contraire au départ. L'expédition eut le malheur de manquer d'un Thalès de Milet pour prédire et expliquer l'éclipse, comme ce sage le fit pour celle de soleil le 28 mai 585, ou d'un Périclès pour jeter un manteau sur les yeux d'un pilote effrayé et lui demander pourquoi il tremblait, quand un objet plus volumineux que le manteau lui cachait la lumière du soleil. Aucun stratège n'eut la présence d'esprit de faire remarquer aux troupes que « le devin se trompait sur le présage de l'éclipse de lune ; il aurait dû savoir que pour une armée qui veut faire retraite, la lune qui cache sa lumière est un présage favorable ». (Fustel de Coulanges, La Cité Antique.) Ainsi lapiété de Nicias, poussée jusqu'à la superstition, comme dans le peuple sans instruction, fut fatale à tout le corps expéditionnaire. Constatons cependant que des armées lacédémoniennes ont été plusieurs fois arrêtées par de semblables scrupules religieux, par exemple dans le cas du secours à porter aux Epidauriens. Ce rôle de la divination a été considérable à Athènes, avec la politique insensée de l'Assemblée du peuple, il n'a pas peu contribué au désastre final. 
[194] Cet Hermokratès, qui fut l'âme de la défense et le principal artisan de la victoire, sera plus tard accusé de trahison, banni de sa patrie ; quand trois ans après il tentera d'y rentrer les armes à la main, il sera tué sur la place publique. L'éclat artistique et littéraire du monde hellénique, tel un manteau somptueux jeté sur des halllons sordides, ne doit ni nous cacher, ni nous faire excuser les sentiments de méfiance, de jalousie, d'ingratitude et de férocité qui étaient monnaie courante dans les républiques de l'antiquité, sans en excepter Athènes avec son peuple changeant et passionné. 
(résumé retraite) [203] La retraite commença au début de septembre 413. L'armée se mit en marche en deux groupes, celui de Nicias en tête, puis celui de Démosthénès. Le 1e jour ils font en combattant 7 à 8 kilomètres dans la direction du nord-ouest pour tourner le plateau des Épipoles et gagner Katanè au nord. Le 2e jour, harcelés qu'ils sont par la cavalerie ennemie et les corps d'archers et de frondeurs, ils ne font guère que 3 ou 4 kilomètres. Le 3e jour, sur la route d'Akres, au pied d'une éminence commandant deux défilés, ils sont arrêtés par des retranchements qu'occupe une troupe assez nombreuse et retournent à leur campement de la veille. Le 4e jour au matin ils essayent en vain d'enlever la position. Le 5e fut un jour d'escarmouches incessantes au cours desquelles ils ne firent pas même 2 kilomètres. La nuit venue un changement d'itinéraire fut décidé. Nouveau point de direction : la côte sud vers Kamarina par la route d'Halôros. Le 6e jour, à l'aube, passage du fleuve Kakyparis malgré un détachement ennemi. Le corps de Nicias prend les devants et non inquiété couvre 10 kilomètres. Démosthénès perd le contact. Attaqué dans l'après-midi, il est battu et contraint de capituler. Nicias, ignorant le sort de son collègue, arrive au bord du fleuve Erineos. Le 7e jour, serré de près par Gylippos, il demande des conditions honorables de capitulation qui sont repoussées. A la suite d'attaques réitérées, une tentative de départ nocturne est abandonnée. Le 8e jour, au matin, au gué de l'Erinéos , désordre, confusion, carnage. Nicias se rend. L'expédition de Sicile était terminée par l'anéantissement de la flotte et de l'armée athéniennes.

XXVIII (cité->forteresse) Il fallait tirer du dehors tout ce dont on avait besoin ; Athènes n'était plus une cité, mais une forteresse. 
(massacre) XXIX Les Thraces firent irruption dans Mykalessos, pillèrent les maisons et les temples, massacrèrent les habitants, n'épargnant ni la vieillesse ni le jeune âge. Tous ceux qu'ils rencontraient femmes, enfants étaient immédiatement mis à mort, pêle-mêle avec les bêtes et tous les êtres vivants. Car ce peuple barbare est des plus sanguinaires, quand il n'a rien à craindre. Là, en particulier le massacre fut épouvantable ; on vit la mort sous toutes ses formes. Les Thraces firent irruption dans une école, la plus importante du pays. Les enfants venaient d'y entrer : ils les égorgèrent tous. Jamais une ville entière ne connut désastre plus complet, plus soudain et plus imprévu[161] 

(armes secrètes et espionnage) LXV De plus, on les informa que l'ennemi devait utiliser des grappins de fer. Ils prirent en conséquence toutes leurs dispositions ; en particulier, ils garnirent de peaux les proues et les gaillards ; ainsi les grappins glisseraient et n'auraient pas de prise. Quand tout fut prêt Gylippos et les stratèges syracusains exhortërent leurs troupes en ces termes ...

(légitime vengeance) LXVIII Rien n'est plus légitime, soyons-en convaincus, que d'assouvir sa vengeance sur un injuste agresseur. 
LXIX.Au moment de lever l'ancre, Nicias, effrayé par la situation et voyant l'étendue et l'imminence du danger, fit ce que l'on fait dans les luttes décisives : il jugea tous ses préparatifs encore insuffisants et ses exhortations incomplètes. Il fit donc appeler séparément chacun des triérarques, les nomma de leur nom, de celui de leur père et de celui de leur tribu[190], rappela à tous leurs mérites personnels, en leur demandant de ne trahir ni leur réputation ni les vertus de leurs ancêtres, de ne pas ternir la renommée de leurs aieux. Il leur rappela la liberté[191] illimitée dont jouissait leur patrie et l'indépendance absolue de chacun dans sa vie privée. Bref, il leur dit tout ce que, dans de pareilles circonstances, on peut dire quand on ne craint pas de rabâcher des lieux communs. Il y ajouta, sur leurs femmes, leurs enfants, les dieux de leur patrie, les paroles banales qu'on prononce malgré,tout, parce qu'on les croit utiles, dans les circonstances critiques.
(début défaite athénienne) LXXII. - La bataille avait été acharnée ; des deux côtés on avait perdu un nombre de navires et d'hommes considérable. Les Syracusains et leurs alliés victorieux recueillirent les épaves et les morts ; ensuite ils regagnèrent la ville et élevèrent un trophée. Les Athéniens, eux, accablés par l'énormité de leurs maux, ne songèrent même pas à demander l'autorisation d'enlever leurs morts ou les débris de leurs vaisseaux ; ils ne pensaient qu'à partir sur-le-champ, la nuit suivante. Démosthénès vint trouver Nicias et lui proposa d'embarquer les équipages sur les navires qui restaient et de tenter de forcer dès l'aurore le passage. Il soutenait que les Athéniens avaient encore plus de vaisseaux que les ennemis ; en effet, il leur en restait environ soixante, tandis que Syracuse n'en avait pas cinquante. Nicias fut de son avis, mais, quand ils voulurent faire regagner le bord aux matelots, ceux-ci refusèrent d'embarquer[193]. Ils étaient totalement consternés par leur défaite et désespéraient de vaincre. Tous ne songeaient plus désormais qu'à faire leur retraite par terre.

(suite + alcool + ruse) LXXIII. - Le Syracusain Hermokratès[194] devina leurs intentions ; il sentit le danger qu'il y aurait à laisser une armée aussi nombreuse se retirer par terre et s'arrêter en un point de la Sicile, d'où elle pourrait poursuivre la guerre. Aussi alla-t-il trouver les magistrats pour leur exposer qu'il ne fallait pas permettre aux Athéniens de s'échapper pendant la nuit. Son plan était de faire sans tarder une sortie avec tous les Syracusains et leurs alliés, de couper la retraite à l'ennemi et de s'assurer l'occupation des défilés. Les magistrats l'approuvèrent et décidèrent qu'il fallait exécuter le plan d'Hermokratès. Mais ils ne crurent pas possible d'obtenir l'obéissance de gens qui étaient depuis peu tout à la satisfaction de se reposer, à la suite d'un terrible combat ; d'autant plus que c'était un jour de fête et de sacrifice en l'honneur d'Héraklès[195]. Dans le transport de la victoire, la plupart buvaient ferme pour célébrer la fête. Dans ces conditions, la dernière chose à leur demander était de prendre leurs armes et d'opérer une sortie. Aussi les chefs jugeaient-ils qu'il y avait là un obstacle insurmontable. Ne pouvant les décider, Hermokratès eut recours au stratagème suivant. Craignant de se voir devancé par les Athéniens qui pourraient profiter de la nuit pour franchir les plus mauvais passages, il envoie à la chute du jour quelques affidés avec des cavaliers au camp athénien. Ceux-ci arrivèrent à portée de la voix, se donnèrent pour des partisans des Athéniens ; Nicias en effet avait des informateurs qui le tenaient au courant de ce qui se passait dans la ville. Ils firent dire à Nicias de ne pas se mettre en marche cette nuit-là, sous prétexte que les Syracusains occupaient les routes et de se préparer tranquillement à partir le lendemain. Là-dessus ils se retirèrent. Ce message fut transmis aux stratèges athéniens[196].
(déroute) LXXV. - Terrible était, dans l'ensemble, la situation des Athéniens : ils avaient perdu tous leurs vaisseaux ; ils avaient perdu leurs belles espérances, et, à leur place, il n'y avait plus que périls pour eux et pour l'État. De plus le camp que l'on abandonnait présentait aux yeux et à l'esprit un spectacle affligeant. Les morts restaient sans sépulture, et, à voir le cadavre d'un de ses amis, le soldat éprouvait une affliction mêlée de crainte. Les vivants qu'on abandonnait ou blessés ou malades excitaient encore plus d'afftiction et de commisération que les morts. Leurs supplications, leurs gémissements mettaient l'armée au désespoir : ils suppliaient qu'on les emmenât, imploraient à grands cris un chacun selon qu'ils apercevaient un camarade ou un proche parent. Ils s'accrochaient à leurs compagnons de tente au moment où ceux-ci se mettaient en route ; ils les accompagnaient tant qu'ils pouvaient et, quand la volonté ou les forces les trahissaient, ils s'arrêtaient en invoquant les dieux et en sanglotant. Aussi l'armée entière fondait-elle en larmes et, en proie à une cruelle perplexité, ne pouvait-elle se résoudre à poursuivre sa marche. Pourtant c'était une terre ennemie que l'on quittait ; on y avait souffert des maux qu'on ne pouvait assez déplorer ; mais on redoutait que l'avenir n'en réservât de plus cruels encore. A l'humiliation extrême s'ajoutaient les reproches des uns aux autres. On eût dit une ville réduite après un long siège, dont la population immense était en fuite ; cette foule en déroute comprenait au total quarante mille hommes. Chacun avait pris ce qui pouvait lui être utile ; les hoplites et les cavaliers, contrairement à l'usage, portaient leurs vivres en plus de leurs armes ; car ils n'avaient plus de valets ou n'avaient plus confiance en eux. Depuis longtemps ceux-ci avaient commencé à déserter ; maintenant la désertion était générale. [...] Pourtant, tous ces maux leur paraissaient supportables, en comparaison de ceux qui étaient suspendus sur leur tête. 

LXVII.... Ce sont les hommes qui font les villes et non les remparts, ni les vaisseaux vides de défenseurs.

(armée Demosthène se rend; carnage armée Nicias)
LXXXIV. - Le jour venu Nicias poussa son armée en avant. Les Syracusains et leurs alliés l'assaillirent, selon leur tactique des jours précédents, en tirant sur eux de toutes parts et en les criblant de javelots. Les Athéniens se hâtaient de gagner le fleuve Asinaros, harcelés sans arrêt par les attaques de la cavalerie et des autres troupes et par les tourments qu'ils enduraient. Ils espéraient qu'une fois le fleuve franchi leur situation s'améliorerait ; la soif aussi les tenaillait. Arrivés sur le bord du fleuve, ils s'y précipitèrent dans le pire désordre, chacun voulant passer le premier ; les ennemis les pressaient et rendaient difficile le passage. Obligés de serrer les rangs, en avançant, ils tombaient les uns sur les autres, se foulaient aux pieds. Transpercés par les javelines, embarrassés par leurs armures, les uns périssaient aussitôt, les autres ne pouvaient se dégager et étaient emportés par le courant. Les Syracusains, sur la rive opposée du fleuve, qui était escarpée, tiraient d'en haut sur les Athéniens, tout à la joie pour la plupart d'étancher leur soif et s'empêtrant les uns les autres dans le lit encaissé du fleuve. Les Péloponnésiens y descendirent et firent un grand massacre de ceux qui s'y trouvaient. Aussitôt l'eau fut souillée, on continuait à la boire, tout ensanglantée et fangeuse qu'elle fût et la plupart se la disputaient les armes à la main.
LXXXV. - Déjà, en nombre considérable, les cadavres étaient amoncelés dans le fleuve ; déjà l'armée était anéantie ; elle avait péri en partie sur les rives, en partie sous les coups des cavaliers qui poursuivaient les fuyards. Alors Nicias se rendit à Gylippos, en qui il avait plus de confiance qu'aux Syracusains. Il se remit à sa discrétion ainsi qu'à celle des Lacédémoniens, mais leur demanda de faire cesser le massacre de ses hommes. Dès lors Gylippos donna l'ordre de faire quartier. Tout ce qui restait de l'armée, à l'exception d'un bon nombre d'hommes que les Syracusains avaient cachés, fut fait prisonnier et emmené. On envoya à la poursuite des trois cents soldats, qui pendant la nuit avaient traversé les postes ennemis, on les rejoignit et on les reprit. Le nombre total de ceux qui tombèrent au pouvoár de l'État ne fut pas élevé ; en revanche le nombre de ceux qui avaient été détournés par les particuliers fut considérable[202]. Toute la Sicile en fut remplie, car on ne les avait pas pris à la suite d'une convention, comme le corps d'armée de Démosthénès. Le nombre des morts fut aussi énorme, car le carnage avait été impitoyable et avait dépassé tout ce qu'on avait pu voir durant cette expédition. Il faut ajouter aussi les pertes nombreuses subies au cours des engagements fréquents pendant la retraite. Néanmoins beaucoup parvinrent à s'enfuir, les uns sur-le-champ, les autres après avoir été quelque temps esclaves.
LXXXVI.Nicias et Démosthénès furent égorgés[204], malgré l'oppasition de Gylippos. Celui-ci eût voulu, en plus de ses autres exploits, mettre le comble à sa victoire en amenant aux Lacédémoniens les stratèges ennemis. L'un s'était attiré tout particuliérement leur haine, par suite des événements de Sphaktérie et de Pylos ; l'autre leur amitié pour les mêmes motifs. C'est que Nicias, en amenant les Athéniens à signer un accord, avait travaillé de toutes ses forces à la libération des prisonniers de l'île. Les Lacédémoniens lui en étaient très reconnaissants ; c'est là surtout ce qui l'avait engagé à se rendre à Gylippos. Mais il avait contre lui une partie des Syracusains : les uns, qui avaient eu avec lui des intelligences, craignaient que, mis à la torture, il ne fît des révélations compromettantes pour leur sécurité ; d'autres, surtout les Corinthiens, qu'il n'obtint, grâce à sa richesse considérable, des complicités pour s'enfuir et qu'il ne leur suscitât de nouvelles difficultés. Ils persuadèrent donc leurs alliés de le faire périr. Telles furent à peu près les causes de sa mort ; pourtant Nicias était, de tous les Grecs de mon temps, celui qui par son aspiratton constante vers le bien méritait le moins pareille infortune.

Livre VIII
(rage à Athène) I. - Quand cette nouvelle (déroute armée) parvint à Athènes, on refusa pendant longtemps de croire à un désastre si complet, même sur le témoignage des soldats les plus braves et les plus dignes de foi, échappés du milieu même de la déroute. Il fallut bien se rendre à l'évidence. Ce fut alors une explosion de haine contre les orateurs qui avaient poussé à l'expédition, comme si le peuple lui-même ne l'avait pas autorisée par ses suffrages. La colère était vive aussi contre les colporteurs d'oracles, les devins et tous ceux qui par leurs prophéties avaient fait naître l'espoir trompeur de conquérir la Sicile. De toutes parts, on n'avait que sujets d'affliction ; au désastre récent venaient s'ajouter une appréhension et une consternation extraordinaires. 

(Alcibiade) XIV. - Au cours de leur traversée, Khalkideus et Alcibiade parent avec eux, pour éviter d'être éventés, tous les bâtiments qu'ils rencontrèrent. Ils abordèrent d'abord en un pont du continent, à Korykos et relâchèrent les gens qu'ils avaient arrêtés. Ils conférèrent d'abord avec quelques hammes de Khios qui étaient de connivence avec eux. Sur leur conseil de gagner la ville sans se faire annoncer, ils y arrivèrent à l'improviste. La faction démocratique fut frappée d'étonnement et d'effroi, mais les oligarques avaient pris soin de faire assembler le sénat. Khalkideus et Alcibiade y annoncèrent l'arrivée prochaine d'une flotte puissante, tout en se gardant bien de parler du blocus des vaisseaux à Peiraeos. Ils réussirent ainsi à détacher d'Athènes pour la seconde fois les habitants de Khios et d'Érythres. Là-dessus, avec trois vaisseaux, ils gagnèrent Klazomènes dont ils provoquèrent également la défection. Les Klazoméniens passèrent sans tarder sur le continent et fortifièrent Polikhna, pour s'y retirer au cas où ils seraient contraints d'abandonner leur petite île. Tous les insurgés étaient occupés à se fortifier et à se préparer à la guerre. 

(révolte démocratique Samos) XXI. - C’est à la même époque qu'eut lieu à Samos la révolte du peuple contre l'aristocratie. Elle fut appuyée par les Athéniens, qui avaient là trois vaisseaux. Le parti démocratique mit à mort deux cents aristocrates au total et en condamna quatre cents au bannissement. Il procéda au partage des terres et des maisons des proscrits. Les Athéniens, qui après cette exécution ne doutaient plus de la fidélité des Samiens, leur accordèrent par décret l'autonomie. Le peuple dès lors gouverna la ville, tint complètement à l'écart les géomores[220] et interdit qu'à l'avenir on leur donnât des filles du peuple en mariage et qu'on prît femme chez eux. 

[236] La Boulé, conseil des Cinq Cents, tirés au sort à raison de 50 par tribu, parmi les citoyens âgés de 30 ans et jouissant de la plénitude de leurs droits civiques. Les membres de la Boulè étaient élus avec des fèves. Les noms des candidats étaient d~posés dans une urne et des fèves noires et blanches dans une autre. A mesure qu'on tirait un nom, on tirait aussi une fève et celui dont le nom sortait en même temps qu'une fève blanche était membre du Conseil. Ce tirage au sort que Socrate appelait une folie se faisait entre des candidats préalablement désignés et soumis à la dokimasie, sévère au début, plus commode ensuite. Ces fonctions absorbantes (elles duraient un an) et mal rétribuées ne tentaient pas les citoyens chargés de famille et forcés de gagner leur vie. La Boulè était avec l'Assemblée du peuple le principal organe du gouvernement démocratique. 

[243] On est surpris de constater que le gouvernement d'Athènes et le public supportèrent neuf ans, sans tenter un effort décisif, l'occupation de cette place de Dékéleia visible des remparts de la ville 1 Cette population de marins, déshabitués de l'agriculture, s'intéressait beaucoup plus aux îles et aux alliés du littoral de l'Egée ou de l'Hellespont.

[244] L'assiduité des citoyens aux réunions de l'Assemblée laissait beaucoup à désirer. En temps ordinaire, les séances ne comptaient guère plus de 1.500 assistants. Outre les magistrats en fonction, c'étaient les artisans et les marins d'Athènes, du Pirée et des autres dèmes suburbains qui s'y montraient les plus assidus ; ceux qui habitaient des dèmes éloignés y paraissaient plus rarement, et encore moins les yens riches, les petits nronriétalres fonciers, retenus hors de la ville par les travaux des champs. 

[252] Au sujet du désaccord entre Thucydide et Aristote à propos du régime des Quatre Cents, Mathieu et Haussoullier supposent avec quelque vraisemblance que les textes produits par Aristote sont, non pas des lois réellement appliquées, mais des projets d'oligarques modérés qui auraient été l'objet « d'un agis favorable » des commissions chargées de les étudier. (Aristote, A. P., traduction, introduction, pages VII et VIII.)

[260] Comme on le voit, l'histoire de la Guerre du Péloponnèse tourne court. (Cf. Préface.) Alcibiade, rappelé dans sa patrie, fut reçu en triomphe. Sparte, soutenue par les Perses, confia le commandement de ses troupes à Lysandre. Elle fut d'abord vaincue à la bataille des îles Arginuses, mais Lysandre infligea aux Athéniens la défaite décisive d'Ægos-Potamos ; puis il s'empara du Pirée et d'Athènes. Athènes dut signer la paix. Son empire fut entiérement détruit (404). Le récit de ces événements se trouve dans les Helténiques de Xénophon, dont l'oeuvre était considérée dans l'antiquité comme un supplément à celle de Thucydide. 

(Alcibiade) XLV. - Sur ces entrefaites et même avant l'expédition de Rhodes, voici ce qui se passa : Alcibiade, après la mort de Khalkideus et le combat de Milet, devint suspect aux Péloponnésiens. Astyokhos reçut de Lacédémone une lettre lui enjoignant de le faire périr : Alcibiade était ennemi d'Agis[229], d'ailleurs sa perfidie était reconnue. Pris de crainte, il se réfugia auprès de Tissaphernès et fit tout ce qu'il put auprès de ce satrape pour compromettre la situation des Péloponnésiens. C'est lui qui inspirait toutes les décisions. Il fit réduire la solde d'une drachme attique à trois oboles, d'ailleurs payées irrégulièrement. A son instigation, Tissaphernès invoqua comme argument que les Athéniens, dont l'expérience maritime était plus ancienne que la leur, ne donnaient à leurs équipages que trois oboles ; c'était moins par pauvreté, que pour éviter aux matelots de se pervertir par l'abondance ; de ruiner par leurs dépenses leur santé et de perdre leur énergie, ou d'abandonner les vaisseaux, en laissant en gage ce qui leur restait dû sur leur solde. Il décida également Tissaphernès à gagner à prix d'argent les triérarques et les généraux des villes. Alors tous, à l'exception des Syracusains, lui laissèrent les mains libres. Seul Hermokratès s'opposa à cette mesure, pour l'ensemble des alliés. Lorsque les villes demandaient de l'argent, Alcibiade les éconduisait au nom de Tissaphernès. 

XLVI.- Alcibiade conseillait également à Tissaphernès de ne pas trop se hâter de terminer la guerre ; de ne pas donner au même peuple la suprématie sur terre et sur mer, en appelant la flotte phénicienne qu'il faisait équiper et en augmentant le nombre des mercenaires grecs. Il fallait, au contraire, laisser la domination sur terre et sur mer partagée entre les deux peuples et offrir continuellement au Roi la latitude d'opposer l'un d'eux à celui qui lui causerait de l'embarras. Par contre, si la suprématie sur terre et sur mer venait à être concentrée dans les mêmes mains, le Roi ne saurait à quels alliés faire appel pour ruiner le peuple le plus puissant et il se verrait obligé d'engager plus tard une lutte coûteuse et pleine de périls. Les risques seraient moins grands, la dépense moins forte, sa sécurité complète, s'il laissait les Grecs se détruire les uns les autres. Mieux valait, disait-il, associer les Athéniens à l'empire du Roi, ils étaient moins portés à chercher la domination sur terre ; tant en actions qu'en paroles, c'était leur concours qui pour la guerre était le plus utile ; ils soumettraient à leur propre pouvoir les contrées maritimes et au pouvoir du Roi les Grecs de son empire. Au contraire, les Lacédémoniens viendraient les délivrer. Il ne fallait pas attendre d'eux qu'affranchissant du joug des Athéniens d'autres Grecs, ils ne les affranchissent pas également du joug des Perses. Le seul moyen état de les empêcher de terrasser les Athéniens. Alcibiade conseillait donc à Tissaphernès d'user les uns par les autres et quand dans la mesure du possible il aurait amoindri les Athéniens, de chasser les Péloponnésiens du pays.

LIII.- Les députés envoyés de Samos avec Peisandros arrivèrent à Athènes. Ils parlèrent devant l'Assemblée du peuple. Leur principale conclusion fut qu'en rappelant Alcibiade et en renonçant au régime démocratique, on pouvait obtenir l'alliance du Roi et triompher des Péloponnésiens. Plusieurs orateurs s'exprimèrent en faveur de la démocratie et les ennemis d'Alcibiade se mirent à jeter les hauts cris, protestant contre le retour d'un homme qui avait violé les lois. Les Eumolpides et les Kérykes[231] (les Hérauts) rappelaient l'affaire des Mystères, qui l'avait fait exiler et invoquaient les Dieux pour refuser son rappel. Peisandros monta à la tribune pour répondre aux opposants et aux mécontents. Il fait citer tous les adversaires de cette mesure et demande à chacun d'eux quel salut il escomptait pour la ville, quand les Péloponnésiens avaient autant de vaisseaux qu'Athènes sur mer et plus d'alliés ; quand ils recevaient des subsides du Roi et de Tissaphernès et qu'eux-mêmes n'en avaient plus, à moins qu'on ne décidât le Roi à passer dans leur parti. Cette question leur ferma la bouche ; il leur déclara alors sans détours : « Il est impossible de nous en tirer, si nous n'adoptons un régime plus modéré et si nous ne remettons pas le pouvoir aux mains d'une minorité, qui inspirera confiance au Roi. Pour l'instant ce n'est pas sur la constitution, mais sur notre salut qu'il nous faut délibérer. D'ailleurs, par la suite, nous pourrons changer de régime, si nous trouvons à redire au nôtre. Rappelons donc Alcibiade, le seul homme capable d'exécuter ce projet. »

LXVIII.Aussi, sous la conduite de tant de gens habiles, l'entreprise, si hardie qu'elle fût, ne pouvait manquer de réussir. En effet, il était audacieux, cent ans après l'expulsion des tyrans, de priver de la liberté le peuple athénien, qui, loin d'être sujet, avait contracté pendant plus de la moitié de cette période l'habitude de commander à d'autres peuples[240].

(Samos reste démocratique) LXXIII. - Déjà à Samos une réaction contre l'oligarchie était en train de s'opérer ; elle avait commencé au moment même de l'établissement des Quatre Cents. Ceux des Samiens, qui formaient la faction démocratique et qui jadis s'étaient révoltés contre les riches, avaient fait volte-face. A l'arrivée de Peisandros, ils s'étaient laissé gagner par lui et par les conjurés athéniens qui se trouvaient à Samos. Au nombre d'environ trois cents, ils avaient formé une conspiration qui se proposait d'attaquer les autres citoyens restés fidèles à la démocratie. Ils avaient mis à mort Hyperbolos, un Athénien pervers, qui avait été banni par l'ostracisme[245], non pas en raison de sa puissance, ou de la crainte qu'inspirait son crédit, mais en raison de sa méchanceté et de son infamie. Pour ce meurtre, ils avaient obtenu la complicité de Kharminos l'un des stratèges et de quelques Athéniens de Samos, à qui ils avaient ainsi donné un gage de fidélité. D'accord avec eux ils avaient opéré de la sorte en plusieurs circonstances et ils se disposaient à attaquer les démocrates. Ceux-ci eurent vent du complot et le dénoncèrent aux stratèges, Léôn et Diomédôn qui, comblés d'honneurs par le peuple, voyaient d'un mauvais oeil le régime oligarchique, à Thrasyboulos et à Thrasyllos, l'un triérarque, l'autre simple hoplite, et à tous ceux qui paraissaient les plus hostiles aux conjurés. Ils leur demandèrent de ne pas supporter qu'on les fît périr et que Samos, qui avait tant contribué au maintien de l'empire athénien, se mît dans le cas de se détacher d'Athènes. Sur cet avis, les stratèges allèrent trouver en particulier tous les soldats et les engagèrent à la résistance. Ils s'adressèrent particulièrement aux matelots de la Paralienne, tous Athéniens et de naissance libre et qui de tout temps, et même avant l'établissement de l'oligarchie, s'étaient montrés les adversaires de ce régime. Dès lors, Leôn et Diomédôn, chaque fois qu'ils prirent la mer, laissèrent une garde de quelques vaisseaux. Aussi quand les trois cents voulurent attaquer le parti populaire, tous ces éléments et surtout les Paraliens, se donnèrent-ils la main et le peuple de Samos eut-il le dessus. On mit à mort une trentaine des conjurés, les plus coupables ; on en bannit trois, on amnistia les autres et on constitua dès lors un gouvernement pleinement démocratique.