readings:slavoj_zizek_plaidoyer_en_faveur_de_l_intolerance

On connaît Zizek et ses positions provocatrices; cet ouvrage défend le droit au radicalisme intellectuel, dans un monde dominé par une pensée "molle" qui cache en fait le triomphe absolu du capitalisme et d'une pensée unique "économique". Pour Zizek, l'utilitarisme domine en effet la pensée planétaire et ne laisse plus de place pour une pensée alternative, quelle qu'elle soit.

"La formule qui met le mieux en lumière le paradoxe de la postpolitique se trouve peut-être dans la définition que donna Tonny Blair du New Labour en le présentant comme le “Centre radical”: au bon vieux temps des divisions politiques “idéologiques”, le qualificatif “radical” était réservé soir à l'extrême gauche, soit à l'extrême droite. Le Centre était par définition modéré: à l'aune des anciens critères, le terme de “Centre radical” est aussi absurde que celui de “modération radicale””. Ce qui rend le New Labour “radical”, c'est son abandon radical des “vieilles divisions idéologiques”, abandon pouvant se résumer à une paraphrase d'un dicton de Deng Xiao Ping des années soixante: “Peu importe qu'un chat soit roux ou blanc, ce qui importe c'est qu'il attrape comme il faut les souris”. Dans la même veine, les défenseurs du New Labour aiment insister sur le fait que l'on devrait, sans en tirer un quelconque préjudice, prendre les bonnes idées et les appliquer, quelles que soient leurs origines (idéologiques). Et quelles sont ces “bonnes idées”? La réponse, naturellement, est: les idées qui marchent. C'est ici que s'impose à nous le fossé séparant un acte politique véritable de l'“administration des questions sociales” qui subsiste à l'intérieur de la trame des relations sociopolitiques existantes: le propre de l'acte (de l'intervention) politique n'est pas simplement de bien fonctionner au sein de la trame des relations existantes, mais de modifier la trame même qui détermine la manière dont fonctionnent les choses. Affirmer que les bonnes idées sont “les idées qui marchent” signifie que l'on accepte par avance la constellation (capitaliste planétaire) qui détermine ce qui marche (si, par exemple, il est dépense trop d'argent pour l'éducation ou les soins de santé, cela ne “marche pas” dans la mesure où cela enfreint trop les conditions de la profitabilité capitaliste)." (29-30)

Zizek, poursuivant la pensée de Michel Foucault, s'intéresse à la violence d'Etat et à son légitime monopole, qui subit récemment une inquiétante détérioration:

"L'un des événements mineurs, et pourtant révélateurs, qui témoignent de ce “dépérissement” de l'Etat-nation est la lente propagation de ces institutions obscènes que sont les prisons privées aux Etats-Unis et dans d'autres pays occidentaux: l'exercice de ce qui devrait être le monopole de l'Etat (violence physique et coercition) devient l'objet d'un contrat entre l'Etat et une entreprise privée exerçant la coercition sur les individus par recherche du profit - ce à quoi nous avons ici affaire, c'est à la fin du monopole de l'usage légitime de la violence qui (selon Max Weber) définit l'Etat moderne." (69)

L'un des aspects intéressants chez Zizek est sa faculté d'illustrer ses propos par des exemples originaux et puisant dans la culture de masse:

"Gates, le Small Brother, le brave type quelconque, rejoint et contient la figure du Génie du Mal qui aspire au contrôle entier de nos vies. Dans les vieux James Bond, ce Génie du Mal était encore une figure excentrique, habillée avec extravagance, ou portant un uniforme gris maoiste proto-communiste - dans le cas de Gates, cette mascarade ridicule n'est plus nécessaire ; le Génie du Mal adopte le visage du voisin de palier. En d'autres termes, ce que nous rencontrons avec l'icône Bill Gates, c'est une sorte de retournement du motif du héros doté de pouvoirs surnaturels mais qui, dans sa vie quotidienne, est un type banal, maladroit, gauche (Superman qui, dans son existence de tous les jours, est un journaliste binoclard et empoté): l'icône prend ici le visage du jeune homme quelconque, et non du superhéros. Il ne faut par conséquent pas mettre sur le même plan le quelconque de Bill Gates et les formes humaines prétendument ordinaires du maître patriarcal traditionnel. Le fait que ce maître traditionnel ne parvînt jamais à finir en beauté, le fait qu'il fût toujours imparfait, marqué par quelque échec ou faiblesse, affaiblissait moins son autorité symbolique qu'elle ne lui servait de support, rendant palpable le gouffre constitutif entre la fonction purement formelle de l'autorité symbolique et l'individu empirique la détenant. En contraste avec ce gouffre, le quelconque de Bill Gates indique une notion différente de l'autorité, celle du surmoi obscène opérant dans le Réel. " (114)

On peut parfois regretter les raccourcis et effet de modes "zizekiens", il n'en reste pas moins un auteur intéressant qui détonne dans un paysage intellectuel parfois monotone.

Mise à jour le Vendredi, 04 Septembre 2009 04:57  

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