Comme dans tous les pays industrialisés,
les crises pétrolières de 1973-1974 et de 1979-1980, puis
l'accident de Tchernobyl, survenu le 26 avril 1986, permit à une
partie non négligeable de l'opinion publique suisse de prendre en
considération les critiques que les milieux dits écologistes
avaient adressées à notre dépendance envers le pétrole
et à l'endroit de l'électronucléaire pratiquement
depuis son essor au début des années septante.(1)
Dans un premier temps, les instances politiques suisses firent grand cas de l'événement. C'est pourquoi le Conseil fédéral (le gouvernement) constitua le 29 octobre 1986 un Groupe d'experts sur les scénarios énergétiques (GESE) auquel il demanda de bien vouloir répondre à la question suivante: A supposer que la Suisse décide de renoncer au nucléaire, en respectant les conditions que voici: - pas d'importation supplémentaire de courant électrique étranger; - pas de recours à de grandes centrales à énergies fossiles; - pas d'augmentation de la consommation d'énergie fossile; - pas d'augmentation des émissions nocives de CO2; - pas d'épuisement des ressources hydrauliques; - quelle serait la meilleure manière d'y parvenir?(2) Les membres du GESE, désignés
en fonction de leurs compétences en la matière, qui étaient
onze au départ, se retrouvèrent huit à l'arrivée,
en suite de la démission de trois d'entre eux. Ces démissions
émanaient des personnalités les plus réceptives aux
idées reçues dans les milieux économiques quant aux
risques de pénurie en énergie électrique(3)
(suite)
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suite:
Ainsi nous présente-t-il 18 scénarios différents, regroupés selon les trois hypothèses fondamentales de croissance soutenue, de tassement et de décroissance énergétique constituant autant de plans complets de politique énergétiques. Les dix premiers scénarios s'inscrivent dans la perspective d'une croissance soutenue. Le premier appelé scénario de référence, est caractérisé par une augmentation de la consommation d'énergie finale (+24%) et d'électricité (60%) et par la construction de l'équivalent de trois grandes centrales et demie. Le deuxième, appelé scénario de référence renforcé est fondé sur le nucléaire, comme le premier, mais allié à une politique efficace en matière d'utilisation rationnelle de l'énergie. Suivent trois scénarios fondés sur un moratoire dans la construction de centrales nucléaires, cinq scénarios fondés sur l'abandon de l'énergie nucléaire respectivement en 2025, en 2010, en 2000 et en 1990, selon deux variantes. Les six scénarios suivants participent de l'hypothèse d'une croissance économique modérée, autrement dit d'un tassement de la croissance. Le onzième scénario prolonge néanmoins l'évolution antérieure et constitue donc une variante du scénario numéro 1 dit de référence. Le douzième obéit à la même logique, mais dans un contexte de moratoire. Les quatre suivants décrivent l'abandon du nucléaire respectivement en 2025, en 2010, en 2000 et en 1990. Les deux derniers scénarios s'inscrivent dans le contexte d'une croissance qualitative (en fait d'une décroissance qui ne dit pas son nom) et postulent l'un et l'autre de «nouvelles priorités» sociales. Le premier d'entre eux et dix-septième dans la liste, appelé « Société de communication» «implique un développement libéral et novateur de la société de services, sans rupture de tendances et sans rejet a priori de l'énergie nucléaire». Plus intéressant et plus novateur, le second du groupe et dix-huitième de la liste, appelé «Style nouveau» procède d'une hypothèse résolument catastrophiste. En effet, il part de l'hypothèse qu'une crise énergétique grave se produirait dans les années nonante entraînant «une transformation accélérée des valeurs» et une forte décrue de la demande d'énergie. Dans ce cas de figure, «on pourra renoncer à utiliser de l'énergie nucléaire au début du siècle prochain, car la consommation énergétique reculera fortement d'ici à l'an 2000 par suite de la crise économique supposée, des modifications de comportement déclenchées par les catastrophes écologiques et d'une politique très systématique d'économies d'énergies.»(6) p.73
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Vouloir mettre en oeuvre toutes les économies possibles
présuppose une attitude modifiée en matière d'investissements
et des mesures dans l'organisation, cela sur la base de normes techniques,
de nouvelles structures tarifaires, d'une indication des prix valable pour
le long terme ainsi que d'un changement des priorités dans les ménages
et dans les entreprises. Exprimé en pour cent, le potentiel d'économies
est actuellement plus grand dans le domaine de l'électricité
que dans celui des agents fossiles (53% environ d'ici à 2025 par
rapport à l'évolution selon la politique du statu quo);
en effet, le potentiel d'économies d'énergies des agents
fossiles a été davantage exploité depuis les crises
pétrolières, d'autant plus que le jeu de l'offre et de la
demande ne fonctionne que partiellement dans le domaine de l'électricité.
«En règle générale - compte tenu des investissements à long terme visant une économie, des hausses du prix de l'énergie et de la tarification axée sur les coûts marginaux - il apparaît que les mesures propres à réduire la consommation sont économiquement rentables. Vers la fin de la période, le surcroît de charges imposé à certains secteurs industriels dans le scénario de l'abandon devrait être compensé par des subventions ou par une application accrue du couplage chaleurforce[...] |
[...]En cas d'abandon du nucléaire,
les principales sources supplémentaires de production d'électricité
sont à court terme (1990/1995) les turbines à gaz, à
moyen terme (2000-2010) le couplage chaleur-force et à long terme
(2025 et plus tard) les équipements solaires.»(10)
Citons encore la fin des Conclusions en bref du Résumé du Rapport du GESE: «Les trois membres du groupe d'experts qui se sont retirés ont approuvé les scénarios proposés (sauf pour les opinions minoritaires dont il est clairement fait état dans le Rapport); ils ont cependant estimé que la synthèse fait la part trop belle aux économies d'énergie, tout en n insistant pas assez sur les inconvénients liés, à bien des égards, à un renoncement à l'énergie nucléaire. De son côté, la majorité de la commission est d'avis que la stratégie de l'utilisation rationnelle de l'énergie et du recours aux énergies renouvelables, surtout dans le contexte global et du fait de ses répercussions sur la Suisse, est l'élément essentiel de la politique énergétique de l'avenir et qu'elle mérite encore des investigations poussées. p.75
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Il n'en reste pas moins que les économies d'énergie
ont été évaluées avec prudence et retenue,
et que le rapport final donne une idée équilibrée
des préalables, des possibilités et des conséquences
d'un abandon de l'énergie nucléaire par la Suisse.»(11)
Ces remarques finales attestent qu'un clivage s'est opéré dans le GESE, à l'image de celui qui existe dans l'opinion publique, entre les partisans de l'énergie nucléaire et leurs adversaires. En l'occurrence, toutefois, la majorité des experts n'ont nullement exclu la compatibilité du maintien du présent niveau de vie et de productivité en Suisse avec l'abandon par cette dernière du nucléaire, ce qui est relativement nouveau. |
Plus fondamentalement, ce clivage paraît avoir opposé
les partisans inconditionnels de la croissance à des esprits plus
pragmatiques et peut-être aussi plus optimistes quant aux avancées
technologiques à attendre des années à venir, puisque
aussi bien tout accroissement du rendement thermodynamique d'un appareil
quelconque se traduit par une baisse de la consommation et donc de la demande
d'énergie pour ce type d'appareils.
p.76
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Mandat
du Département fédéral des transports, des
communications et de l'énergie
(DFTCE)
1. Mandat général
1.1 Le groupe d'experts «Scénarios
énergétiques» élabore un rapport sur
les préalables, les possibilités et les conséquences
d'un abandon du nucléaire par la Suisse.
(suite)
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suite:
2 Documents de travail 2.1 On prendra connaissance, en les analysant
brièvement, des scénarios d'abandon élaborés
antérieurement pour la Suisse ainsi que des principaux travaux
correspondants accomplis à l'étranger.
3 Organisation des travaux du groupe d'experts 3.1 Les membres du groupe d'experts sont nommés
à titre personnel. Ils ne peuvent pas se faire représenter
aux séances.
p.77
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Membres du groupe d'experts Scénarios énergétiques
- Docteur Bruno Böhlen
Directeur, Office fédéral de la protection de l'environnement, Berne - Conrad U. Brunner Archit. dipl., Zurich - Docteur Jiri Elias Chef de section, Office fédéral des questions conjoncturelles, Berne - Professeur-docteur Bruno Fritsch* Institut de recherches économiques, EPF, Zurich - Professeur-docteur Bernard Giovannini Centre universitaire d'étude des problèmes de l'énergie, Université de Genève (CUEPE) - Professeur-docteur Hans G. Graf** Centre saint-gallois de recherche prospective, St-Gall - Professeur-docteur Frank Klötzli Institut de géobotanique EPF de Zurich, Président de la SAGUF (Association suisse pour la recherche sur l'environnement) |
- Professeur-docteur Wolf Linder
Centre de recherche de politique suisse, Université de Berne (président) - Docteur Christian Lutz Directeur Institut G. Duttweiler, Rüschlikon - Docteur Hans-Luzius Schmid Vice-directeur, Office fédéral de l'énergie, Berne (président) - Professeur-docteur Peter Suter* Institut für Energietechnik, EPF, Zurich Secrétariat: Office fédéral de l'énergie, Service de la politique énergétique, Berne p.78
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