La stratégie de la durabilité
a pour but d'optimiser des biens et services dans les cinq phases de leur
vie: conception, production, distribution, utilisation, et recyclage des
matériaux ou élimination des déchets, afin de tirer
le plus grand bénéfice de l'utilisation avec la moindre consommation
de ressources pendant la période la plus longue.
1. DURABILITÉ ET ÉCONOMIES D'ÉNERGIE La durée d'utilisation de produits,
qui est la période pendant laquelle des produits et biens sont effectivement
utilisés, détermine le rythme auquel ceux-ci sont remplacés
et par conséquent la consommation des ressources naturelles (y compris
l'énergie) nécessaires à leur fabrication et le montant
des déchets ainsi engendrés. La réduction de la durée
d'utilisation d'un produit entraîne une augmentation de la demande
de nouveaux biens lorsque les consommateurs sont en mesure de les acquérir.
Le prolongement de la durée de vie d'un
(suite)
|
suite:
Une plus longue période d'utilisation des produits contribuera à assurer la transition vers une société plus stable. Au lieu d'un rythme rapide de remplacement des produits, un prolongement de la durée de leur utilisation entraîne la substitution des industries extractives et manufacturières par des activités de service. Parallèlement, les grandes entreprises à forte intensité de capital et haute consommation d'énergie sont remplacées par de plus petites entreprises à forte intensité de main-d'oeuvre intégrées sur le plan local.[l ] De nos jours, l'activité industrielle implique un système linéaire production-consommation-déchets dans lequel la rotation des produits est rapide, avec des effets négatifs sur l'environnement, en aval comme en amont. L'épuisement des ressources naturelles et la forte consommation d'énergie et d'eau caractérisent les phases initiales du processus (extraction et production des matières premières), puis le cycle de la production et de la consommation. On aboutit alors au stade final à l'accumulation et à l'évacuation d'autant plus de déchets que la durée d'utilisation du produit est de plus en plus égale à celle de son élément le plus faible. Les équipements et produits incompatibles, éphémères, ne peuvent se réparer de manière rentable. Cela signifie que, non seulement nous consacrons une partie croissante de notre revenu à leur remplacement (notre richesse étant conservée et non accrue), mais qu'il nous faut aussi assumer la dépense destinée àéliminer une montagne toujours plus élevée de déchets de plus en plus complexes et dangereux: c'est le système de remplacement rapide (voir tableau A). p.33
|
Or le système dans lequel
les produits sont rapidement remplacés n'est pas le seul système
possible. Dans un système où le rythme de remplacement des
produits est lent (où les produits sont conçus pour une longue
durée de vie dès le départ, tels que les plumes à
bec des écoliers), on cherche à doubler la durée de
vie par une fabrication appropriée. Par exemple, en concevant des
automobiles qui dureront 20 ans grâce à une conception modulaire
du produit, à l'emploi de matériaux résistant à
la corrosion, à des méthodes d'assemblages appropriées
facilitant l'entretien régulier, on peut réduire de moitié
la consommation des ressources naturelles - énergie comprise - ainsi
que le volume de déchets créés et l'énergie
nécessaire à leur élimination (voir tableau B).
En d'autres termes: il faut inclure le facteur "temps" d'utilisation dans le calcul de la consommation d'énergie grise, en comparant l'énergie investie par année d'utilisation. La deuxième alternative est constituée par un système d'auto-approvisionnement soutenu basé sur le prolongement de la vie du produit et qui repose sur un modèle économique en boucle-spirale. Celui-ci minimise la matière, les flux d'énergie et la détérioration de l'environnement, sans pour cela restreindre la croissance économique, ni le progrès technique ou social. Les quatre R du prolongement de la durée de vie des produits sont la réutilisation (spirale 1), la réparation (spirale 2) et la remise en état combinée avec la mise à jour technologique (spirale 3), en utilisant des produits et composants usagés comme bases de nouveaux équipements. Le recyclage (spirale 4) utilise les déchets comme matières premières disponibles sur place (voir tableau D). Une société qui applique
ce modèle d'auto-approvisionnement se construit sur la richesse
existante à travers la totalité de la période d'utilisation.
La gestion financière et l'administration des ressources visent
alors à réduire l'ensemble des coûts d'utilisation
à long terme, à restreindre la dépendance du pays
vis-à-vis des importations de matériaux stratégiques,
et àlimiter les déchets qui pôurraient bien devenir
des bombes àretardement.
(suite)
|
suite:
- deux tiers du coût de la voiture moderne produite en série sont dus aux matériaux et à l'énergie utilisée à la production, et seulement environ 1/5 à l'emploi. Il paraît évident que des produits plus durables, ou des services visant le prolongement de la durée de vie des biens, résulteront en des économies d'énergie et en la création de places de travail décentralisées, donc en une substitution de l'énergie par la main-d'oeuvre (voir tableau E).[1] 2. UTILISATION RATIONNELLE DE L'ÉNERGIE ET DURABILITÉ DES PRODUITS Apporter un jugement sur une utilisation rationnelle
de l'énergie n'est possible que sur la base de bilans fiables de
l'énergie consommée dans les cinq phases de la vie d'un bien:
conception, production, distribution, utilisation des produits et recyclage
des matériaux.
![]() Cette analyse démontre que l'utilisation énergétique la plus rationnelle pour les constructions consiste à utiliser la pierre naturelle sous compression (un pont romain, par exemple). Néanmoins, ces bilans sont encore en général des bilans statiques, qui comparent par exemple l'énergie dépensée pour la construction d'un pont en utilisant le matériau A plutôt que le matériau B. La plupart de ces études montrent des différences jusqu'à 30% de l'énergie investie.[3] p.34
|
Une comparaison dynamique qui tient compte de l'influence
du facteur "temps d'utilisation", donc de la durabilité du pont,
démontre que ces différences sont relativement négligeables
comparées aux économies d'énergie rendues possibles
par la stratégie de la durabilité: l'économie d'énergie
obtenue par une plus simple construction d'un pont romain, par exemple,
devient négligeable comparée à l'économie d'énergie
due au fait que le pont a duré deux mille ans plutôt que cent
ans! Ceci amène donc une nouvelle notion des
termes "qualité" (la qualité dans le temps) et "valeur économique".[4
] Reste à ajouter que la production de biens durables ne nécessite
pas plus d'énergie que la production de biens à jeter.
3. EXEMPLES D'ÉCONOMIES D'ÉNERGIE PAR LA DURABILITÉ Les avantages d'une durabilité accrue
peuvent être obtenus à l'aide de produits durables et d'un
prolongement de la durée d'utilisation des produits existants. Comme
exemple du bon mariage entre économie d'énergie (consommée)
et durabilité, citons les lampes à économie d'énergie
pour les ménages, qui sont aussi des produits de longue durée
de vie dès le départ (8.000 heures, comparées aux
1.000 heures des lampes à incandescence). Il existe aussi des tubes
fluorescents à haut rendement qui durent 15.000 heures pour les
locaux industriels.
(suite)
|
suite:
La notion de valeur économique traditionnelle
est celle de valeur d'usage, déterminée par la valeur d'échange
(ajoutée).
5. ÉCONOMIES D'ÉNERGIE PAR L'OPTIMISATION DE L'UTILISATION Si la valeur d'utilisation devient la notion
de valeur centrale de nos efforts, il paraît judicieux de chercher
des moyens d'optimiser non seulement la durabilité, mais aussi l'utilisation
d'un bien.
p.35
|
Ceci amène de nouveau à une optimisation
de la durée de vie des biens dans le sens d'une conception comme
bien à longue durée de vie dès le départ, et
d'un prolongement de la durée d'utilisation pour des raisons purement
économiques. Les économies d'énergie en résultant
sont décrites dans les premiers paragraphes.[6] Les effets
bénéfiques de cette stratégie visant à une
utilisation rationnelle l'énergie sont encore renforcés par
une combinaison des stratégies "location" et "utilisation partagée".[8]
Plusieurs stratégies d'optimisation de l'utilisation existent au niveau des systèmes techniques. Des économies d'énergie investie et consommée sont possibles grâce à une stratégie d'optimisation globale d'un système. Mentionnons par exemple le remplacement du transport individuel isolé (voiture avec conducteur) par le transport individuel collectif (au moins trois personnes par voiture sur les "diamond lanes" des autoroutes américaines), ou encore par le transport collectif (chemin de fer, bateau, tramway, bus). Une autre stratégie consiste à faire une l'optimisation de chaque phase d'utilisation: le système aviation, par exemple, peut ainsi être amélioré d'un point de vue de l'utilisation rationnelle d'énergie en tirant les avions par des tracteurs d'une nouvelle conception jusqu'au bout des pistes, avant de faire démarrer les réacteurs. On élimine ainsi la phase initiale du vol où les moteurs à réaction sont le moins efficace et plus polluant! Presque toutes ces stratégies demandent, beaucoup plus que des changements techniques, un changement de notre attitude envers l'utilisation des biens (utilisation partagée au lieu de propriété individuelle, et soucis de qualité à long terme manifesté par des actes refusant le prêt à jeter et l'oubli).[9 ] Néanmoins, certains changements dans la conception technique des biens peuvent améliorer l'application des stratégies de durabilité accrue et d'optimisation de l'utilisation. Citons comme exemple une conception modulaire de systèmes et biens facilitant la mise à jour technologique, ou l'utilisation de biens standardisés (exemple: bouteilles) et composants standardisés à longue durée de vie (exemple négatif: pièces de voitures et d'appareils électroniques). Une toute autre optimisation est possible au niveau de l'innovation technique visant une consommation minimale d'énergie. L'exemple des ordinateurs personnels (PC) "laptop" ou portables, qui ne se distinguent des ordinateurs personnels "desktop" ou non-portables ni dans leur utilisation ou performance technique, ni dans les applications possibles, montre le potentiel de cette stratégie de l'innovation technique. En effet, pour les PC portables qui dépendent d'un accumulateur électrique avec une puissance limitée, l'optimisation technique s'est centrée prioritairement sur la minimisation de la consommation énergétique, tout en sauvegardant la compétitivité technique avec les PC "desktop". Le résultat de cette optimisation est frappant: un ordinateur personnel portable consomme entre 3% et 10% de l'énergie d'un PC "non-portable"! [8] (suite)
|
suite:
Une série de mesures à différents
niveaux peut promouvoir une utilisation plus rationnelle de l'énergie
par une application de la stratégie de la durabilité. La
majorité de ces mesures auront comme autre résultat une réduction
de la quantité et de la teneur en polluants des déchets.[10
]
Cet article a essayé de démontrer qu'une application large de la stratégie de la durabilité permettrait de gérer la richesse énergétique et les ressources existantes dans le sens d'une économie soutenue sustainable economy, de mieux gérer les risques technologiques par une responsabilisation des producteurs, ainsi que d'éviter une grande partie des déchets et des dépenses énergétiques nécessaires à leur élimination, par une orientation économique et technique vers l'utilisation des biens et les services. p.36
|
L'Institut de la Durée est une organisation
indépendante et sans but lucratif fondée en 1982 à
Genève.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1 Walter R. STAHEL et Geneviève REDAY,
Jobs for tomorrow, the Potential for Substituting Manpower for Energy,
Commission des Communautés européennes à Bruxelles,
Vantage Press, New York, 1981.
(suite)
|
suite:
5 La durée de vie des produits et son
allongement, contribution à la gestion des déchets solides,
Publications OECD, Paris, 1982.
p.37
|